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Yves HUGLI

L'agonie d'une Note

Une note, un la, était tombée à terre.
Toute perdue et seule, elle était terrorisée.
Jamais elle n'avait mis le pied par terre.
Elle ne connaissait que le lutrin, la portée,
Elle n'avait habité que des partitions.
Et quand elle voyageait, c'était en violon,
Parfois aussi, dans ses pérégrinations,
Elle se déplaçait, joyeuse, en basson.
Assez souvent elle voyageait en flûte,
En bugle, en cornet à pistons, en alto.
Evidemment elle aimait aussi le luth
Et ne dédaignait pas l'ivoire du piano.

Or l'ingénue, jamais n'avait touché le sol
Et se sentait bien nue sans les clarinettes,
Les soupirs, les fa dièses et les bémols,
Sans les clefs de sol et de fa des trompettes.
Les passants, distraits, passaient et la piétinaient.
A elle ils ne faisaient guère attention.
Au sol, ils ne l'entendaient, ni ne la voyaient,
Elle était trop menue sans sa partition ;
Désemparée, hors de portée, nue sur un sol.
Mais ce sol là, elle ne le connaissait pas.
Elle appelait tous les do, ré, mi, fa, sol
A la rescousse, mais ils ne répondaient pas.

De tous ses frères de portée, et de ses soeurs,
L'infortunée espérait en vain le secours
Hélas impossible ; c'était là son malheur.
Contre le destin il n'y a pas de recours.
Eclopée, sans voix, elle pensait au ténor,
Regrettait les caprices de la soprano
Et pleurait amèrement sur son triste sort.
Elle aurait tant aimé chanter fortissimo.
Mais de la basse elle n'avait pas la voix,
Et du baryton n'avait pas le souffle.
Elle chercha réconfort dans un signe de croix,
Puis mourut sous les pieds d'un gros patapouf.

La gamme agonisait, faussée, estropiée.
Elle avait perdu une note : son la.
Folle d'inquiétude, éperdue, affolée
Elle pressentait son déclin sans ce la, là.
A quoi servaient le do, le ré, le mi, le fa,
Le fa dièse, le si bémol et l'autre do,
Alors qu'ils ne pouvaient plus se fier au la ?
Fini, les chants, les choeurs et autres trios.
Musique, la mère, et le père Solfège
Savaient que du sol on ne remonte plus.
Alors pour, de la mort braver le sortilège,
Ils composèrent un hymne pour la perdu.