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Yannis SANCHEZ

Comme un filet de sang

_ "Dehors il pleut.
Ce soir, à quoi je vais penser ?
Je ne connais plus rien qui puisse intéresser
L'amertume qui joue à me nouer les tripes
Et me saigne !
J'ai peur d'entendre ses principes
Ecorcher mon regard et profiter de moi
En traînant dans mon sang les chaînes de sa loi.
Je sens, de ce poison qui serpente, qui glisse
Tout le long de mon corps, la force destructrice ;
Ses dents rongent ma chair, je lui crache dessus,
J'exècre les déserts que ses feux ont conçus.
Et je l'aime bien-sûr puisque sa symphonie
Enchante mon amour ; j'aime sa tyrannie !
Je suis fille océan de sa création,
Je navigue au parfum d'émancipation,
Je me fonds, je me perds, j'écoute chaque vague
Mourir comme un soleil qui tombe de sa bague.

Il pleut toujours.
La pluie infiltre mes secrets !
Je replante et j'abats les plus sombres forêts
Qui naissent dans mon âme et je ris sur la terre
Comme si ma souffrance y vivait la dernière !
Je sais que j'ai raison, les livres me l'ont dit !
Je vis dans le plus bel enfer du paradis !
Je ne vois pas ? En fait je vois mieux que personne,
Vos cœurs ne font que battre alors que le mien sonne
Et déchaîne partout son immense bonté.
Ce qu'on nomme l'hiver, je l'appelle l'été ;
J'ai les clefs du bonheur : je suis loin de ses portes !

Il pleut encore.
Un jour parmi les feuilles mortes
Et parmi les bouquets bruissant de douceur,
Quelqu'un ramassera les morceaux de mon cœur
Que j'ai disséminés dans mon journal intime.
Comprendra-t-il les mots d'une fille anonyme
Qui regardait dehors le monde s'écrouler
Et qui, fermant ses yeux sur le point de brûler,
Comme un filet de sang splendide qu'on essuie
A noyé sa tristesse au déluge de pluie ?

Puis il pleuvra.
Toujours dans mon regard profond,
Hier comme aujourd'hui, mon âme se confond
Avec cette beauté tendre et mélancolique...
Je rêve, je m'égare, un songe nostalgique !

A quoi je vais penser ? Tu penserais à quoi
Quand tu sais que cet âge est beau, triste et narquois ?
Ce soir quand je serai dans l'ombre de ma lampe,
Je mettrai mes deux doigts innocents sur ma tempe :
J'écouterai souffrir à chaque battement
L'étrange solitude ambiguë et vraiment
Comme si je devais d'un seul coup disparaître,
Une dernière fois j'ouvrirai la fenêtre,
J'insulterai la pluie et le monde qui dort,
Et je ferai semblant de me donner la mort !"