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Véronique PEDRERO

Fragments de Breizh

Agrippé à la haie
Un nid en fragile équilibre
Accroche ses cheveux d'ange
Et ses brindilles sèches

Entrelacs savant d'herbes
De plumes prisonnières
De poussières volées

Je marche en creux
À butiner le miel
Je renifle la mer, ses relents de vasière
Le vent m'y aide
Sous les ployés de branches

Un éclat
Dans l'amoncellement des branches

Sur l'île aux duvets
Les ailes s'envoisinent

Les ailes s'abattent dans les allées minuscules du potager
Embrouillamini
De pattes et de plumes
Les oiseaux s'en donnent à coeur joie
Ils dilapident
Sans égard
Sans scrupules
Ils pavoisent
Se gargarisent

La rivière se dérobe
Derrière les noeuds feuillus
Sous la peau des vasières
Reste un mince filet
D'eau
Timide maigreur
Qui suinte à fleur

La lumière du couchant
Me fait lever les yeux
Les nuages se débinent
À l'arrière des pastels

Il diffracte le son
De ses doigts il martèle
Le clavier poivre et sel
Le pianiste
Dont je n'aperçois que le dos
Et encore
À peine
Avec cette colonne de pierre
Qui m'empêche de voir
Peu m'importe
J'entends
J'écoute
Ces coups de poings dans une vitre de verre
Sont une étoile qui bondit aux tympans

Un camion vanille pistache
Une mélodie d'enfance
Petite tournée estivale
Il est quatre heures

Festival des glaces
Je retrouve le goût des saveurs d'enfance
L'envie me vient soudain
De barbouiller mes doigts
Mes pognes et puis ma trogne
De faire des ronds de langue
Et de toucher mon nez
Avec le bout de ce pinceau sucré

Le temps de fouiller mes poches
À la recherche de mitraille
Le camion est parti
Je le vois s'éloigner
Il me reste à attendre le rendez-vous suivant
Ce sera mercredi
Le doux jour des enfants

Je n'aurais pas osé demander à entrer
Pour voir ce qu'il y avait dans le dos de la maison
Qui n'offrait à ma vue que sa façade pâle
L'homme a poussé le portillon
M'a invitée à voir
Je n'ai pas fureté mais j'ai jeté un oeil
Au seuil d'une intimité

Le ciel
Bleu de veines pâles
Une timide promesse
Une journée ordinaire
Qui s'ouvre par la tranche

C'est sur cette tranche
Que se pose l'extra
Celui qui sort de l'ordinaire
Celui de l'inconnu
Insoupçonné

Il voit du gris
Je vois du bleu
Il dit la pluie
Je dis le beau
Le possible

Il dit
Montons en voiture
À l'avant des rencontres possibles
Des mondes
Cachés dans les haies
À débusquer
Parapluie déployé

Une coulée de bois vert
À la dérobée
Au bout
Une cour
Des hortensias bleus
Une bâtisse souveraine
Une gargouille gardienne
Sous la lèpre du temps

Je déplie mes ailes
Les mains en terre
J'élargis le trou
Je bourre la plaie
De papier
Journal boursouflé

Le grand calme de nuit s'est posé là
À l'orée de la ville
L'autre soir encore, la musique résonnait
Jusque dans la colline
Et les chopes cognaient
Dans la cour immobile

Ce soir, rien de tout cela
C'est un dimanche noir
Qui chuchote à peine
On dirait qu'il s'endort
Déjà

Frôler du bout des doigts
La nuit qui vient
Au loin d'abord
Ici, lentement, sans précipitation

Elle s'annonce sous les étoffes nuageuses
Invite le soleil à tirer révérence

Connivence du clin d'oeil
Dissolution prochaine

Je palpe le gris
À mains nues

Sous la pluie
Le paysage s'estompe,
Les bruits aussi
Les flaques se gorgent
Goutte après goutte
Imperceptiblement

Elle marche avec difficulté
Elle s'appuie sur le cadre qui lui donne équilibre
Elle vient jusqu'à moi
Parce que je l'ai hélée
Elle me parle de miracles
De lui à qui elle cause
Chaque jour plusieurs fois
Des prières qu'elle adresse
Répond-t-il ?
Elle ne sait
Je lui dis que les vivants, eux
Peuvent faire conversation

Le chat a brisé la colonne de l'oiseau
Moi je ne l'ai pas vu
Juste l'histoire m'a été dite
Dont il restait si peu
Quelques plumes
Un bec montrant langue
Un oeil resté rond

L'odeur du chaud
Du fer à repasser
Par temps de pluie
Glissés de talons pointés

Entre rires et larmes
En perpétuelles oscillations
Sur le fil de l'été capricieux
Entre coups de tête
Et effondrements

Il s'agit pour moi
De ranger convenablement les choses
Pour les retrouver facilement
Un carton pour chaque chose
Chaque carton de bonnes dimensions
Avec étiquetage, papier bulles et journaux
Sur fond de nouvelles déclassées
Je m'astreins à l'ordre que je me suis fixé

Un chaperon rouge
Sous la coupole d'un parapluie
Dans dans les flaques
Les petits pois blancs
De son imperméable
Tressautent vaillamment

Une goutte a perlé
Sur mon lobe d'oreille
Boule de vie séchée
Vouée à disparaître
Je laisse ce bijou
Dans sa boucle de chair
Rouge

Elle me trotte dans la tête
Cette petite maison sur papier bleu

J'ai vu le jardin tressaillir
Sous les claques du vent
J'ai vu le jardin frémir
Jusqu'au bout de ses herbes
Fol
Et puis il m'a donné repos

Dans ce petit coin de refuge
Il a éclaté ses senteurs
De menthes
Aux tresses emmêlées

Le jardin sent la mer
Avec ses arbres
Il se protège
Des courants de l'air

Froissés de plumeaux
s'ils frétillent aux oreilles
c'est souple caresse

Avaler le vent
À grandes louchées
À minces bouchées

Ratisser le sable
À grands coups de pelle
À jeter dans le seau

Attraper le ciel
Ceinturer ses ailes
Voler son manteau

Noire la pierre du temps
Mon regard se plante
Dans la tourmente des incertitudes

Sillons de terre
Sillons de pierre
Tracés fertiles
Traces conquises
La herse
Le burin
Les saisons
L'éternité

Sur le calvaire qui bute contre le jour
Chacun tient son rôle
Chacun tient sa place
Pas de plis superflus
Aux cheveux
Et aux robes

Qu'il pleuve
Qu'il vente
Ils ne dérogent en rien aux manières
Attribuées par l'homme qui les sculpta jadis
La cène et le tombeau
Les démons
Les humains

La roue tourne
Quand bien même l'averse se pointe
Et darde ses aiguilles sur le cuir

Il allonge ses pointes de pied
L'une après l'autre
Sur le garde barrière
Par le balancier de ses bras
Il équilibre ses pas
Un autre, plus loin
Tape de la pointe
Sur un ballon rond
Les virevoltes vrillent

Le géant aux yeux clos
Veille sur sa marmaille
C'est l'heure du sommeil
Au beau milieu du jour
Et les vieillards entrent en somnolence

Humer le calme
Quand le roulis fait à peine tanguer la bastringue
Et s'en emplir

Sur l'île toute proche
Une vierge de roche
Immobile
Une pierre blanche
Plantée dans la mer
Une clarté
À laquelle ne se frottent pas les bateaux

Parmi les ailerons
Les herses de roches
Le blanc fait exception

À l'arrière du bateau
Le bouillonnement marin
Déploie ses ailes d'écume

Sur le dos du bleu
La mer creuse ses reins
Ses failles profondes
Peut-on douter
Quand on n'aperçoit rien
Que des dômes d'écumes
Qui caressent les coques

L'étrave éternue
Son écume
Ses soubresauts
Sa coiffure moussue
S'emmêle

La lumière du ciel
Grandit
Dans l'iris de l'oeil
Éblouissement galbé

Rochers sur le flanc
Après la vindicte imposée par le temps
Attendent-ils d'être relevés
Improbables couchés

Qu'attendent-ils
En file indienne bien rangée
Saut à la baille

Flot d'oiseaux
Dans les flots
Blancs les oiseaux
La mer
À babord
À tribord
L'île
À babord
L'île
Avec ses échancrures de sables
Le crayon des croyances
Ses rochers plantés
Comme des bateaux morts

Le soleil à peine sur la courbure
Pics et fanions
Ballottés
La houle

L'horizon penche sa quille
À dos de vagues nous naviguons
Le moteur vrombit
Mon coeur se soulève
L'avant du bateau aussi
Tranche les manigances des vagues

Dispersés
Les pions d'échiquier
Balises
Amers
Voilures
Mâts tendus

J'éprouve le doux
Le soulagement de rentrer au port
Au ras de l'eau
Le moteur tremble
Tout à l'heure
Il se taira

Hier il y a eu le soir
Un soir aux saveurs d'orange
Un soir de pulpe juteuse
Un soir de rétine dilatée
Le clapotis de l'eau berçait les flancs de la rivière
Il fredonnait une berceuse
La sienne
Unique

Moi, je suis passée là
J'ai accueilli ce don
Comme unique caresse
Pas sur la peau
Dedans
Un baume de soie
À l'envers de soi

Il suffit d'une route
Petite de préférence
Qui zigzague gentiment
Sans se presser
Et je pars en roue libre
À coups de pédalier

Changement de vitesse
Quand elle prend la pente
Je souffle court et dru
Lâcher prise quand
À perdre haleine elle lâche enfin du lest

Moi je ne perds pas de miettes
De l'air qui chavire mes sens
Je me fais un festin
De rien
De si peu qui est grand
Si grand moment de joie

Une goulée d'eau tiède
Transportée sur le cadre
Ravive mes ardeurs
Je conserve ma droite
Près des talus herbeux
Des rigoles qui se planquent
Dans les folies des joncs

J'aperçois le clocher
Enfin
Et le panneau qui dit
Bientôt mon arrivée
Point temps de relâcher
Mais plutôt appuyer
Encore quelques efforts
Et je m'avachirai
Pour être plus à l'aise

Une selle c'est bien
Mais une chaise
Solide ou de guingois
Ne se refuse pas

Balade bucolique en roues libres
Quand soudain surgit
Venue de nulle part
Non point un oiseau noir ou une furieuse moto
Mais un modeste bolide
Suant et pétaradant à l'excès
Une voiture en face
Et nous au bas-côté
Le brêle nous dépasse, slalome puis se casse
La peur
Puis le soulagement

Les routes que je préfère
Tortillent leurs derrières
Se trémoussent devant
Retroussent leurs nez au vent

Les routes que je préfère
Traînent leur nonchalance
Se moquent des plus grandes
Leur font un pied de nez

Les routes que je préfère
Sont girondes à souhait
Ou parfois maigrichonnes
Ont des airs désuets

Les routes que je préfère
Détraquent leur boussole
Ne s'aimantent pas au nord
Elle perdent les pédales

Les routes que je préfère
Finissent en culs de sacs
Il y a bien sûr la place
De se saluer quand s'est croisés

Les routes que je préfère
N'ont cure des manières
Bonnes qui tracent droit
Elles chassent les ennuis

Pour la première fois je l'ai vu
L'oiseau
Un verdier aux liserés d'or
Posé sur le bord
Sur la cuvette en émail remplie d'eau de pluie
Il se penchait pour boire
Mon jardin accueille les amis volants
Les piafs qui veulent faire halte gourmande

Marcher sur le bitume
Sans égares pour les pieds
Qui rappent leur voûte aux grains
Sur les aspérités irrégulières
Tantôt fines
Tantôt grumeleuses
Je sens
Les restes du jour s'éteindre
Je sens l'ourlet froid de la baie
Ceindre mes chevilles de sel

Et je me suis dit
Que l'île ne pouvait avoir sur son cuir
Cette kyrielle de vélos
Qui se ruait et allait en tous sens
Non
Elle méritait mieux
Se retrouver en quiétude
Sans personne pour lui gratter le couenne
Voir ses rues désertes
Juste quelques points de couleurs
Dans la crique aux coques penchées

Juste le temps d'appuyer sur le bouton
Et le paysage est là
Prisonnier de la boîte
Couché à l'horizontal ou dressé vers le ciel

Ce soir
Le coucher de soleil est sage
Pas tumultueux lorsque les nuages encombrent sa chute
Il descend lentement
Derrière les deux clochers de St Pol
Barré d'un trait de lumière
Qui le coupe en deux
Puis plus rien
Qu'une image modeste au-dessus des maisons

La nuit sur l'anse
Pose ses lampions
Sur les murets de mer
Dispersés dans la baie

Elle ordonne à chacun
Un rythme bien précis
Métronomique

Si le marin s'endort
Elle saura réveiller
Son sommeil à bord
L'aviser
Pour qu'il puisse barrer
Sans frotter les rochers

Sur la plage
Allongée
Un livre à la main
Ses phrases penchent
Vers le sable
Elle penche la tête
Pour suivre leurs sillons
Horizontalité et verticalité
Tressent leur quadrillé

Elle danse d'un pied sur l'autre
La dame aux cheveux blanchis
Elle se trémousse comme une petite fille
Qui n'aurait pas vieilli
Dans sa robe des dimanches
En avant
En arrière
Dans sa robe sans un pli

Dans ses mains, un trésor
Des pacotilles de bric de broc
Bric à brac de pampilles
Myriade de reflets minuscules
Qui ont perdu leurs fils
Qu'on pourrait réparer
Peut-être
Tresser d'autres manières

Elle me tend les petits sacs où elle les a rangés
Elle dit qu'ils sont précieux
Pas seulement pour les alouettes comme on pourrait le croire
Certains viennent de loin
Ils sentent encore le camphre et les clous de girofles

Elle me dit
C'est pour toi
Pour la dame des lieux
Moi je ne sais quoi dire
Juste le mot merci
Posé au bord des yeux
Un mot que je lui donne
Tandis qu'elle s'en retourne
Sans parapluie

Vite vite
La pluie pourrait venir
Et faire des faux plis

En avant
En arrière
Elle veille à ne pas glisser
À ne pas souiller ses souliers
Ce serait bien dommage
De la bonne qualité
Il ne faut pas gâcher

Dans ma maison du fond de baie
Le vent mugit
Dans les combles
Sous les plinthes
Il raconte

Mais quelle est-elle
La vie du vent
Se plaint-il
Chuchote-t-il
C'est selon

J'essaie de capter ses sons
D'en comprendre le sens
L'essence

Mais le diable m'échappe souvent
Il glisse
Entre les mailles de la nasse
Il jacasse ou se tait
Soudain
Sans crier gare

Des mains qui se cherchent
Des mains qui se prennent
Des mains qui se trouvent
Des mains qui se retrouvent
La danse lie les sens
En arc de cercle
Des sourires de connivence

Des yeux qui se croisent
Des yeux qui se choisissent
Des yeux qui s'invitent
Des yeux qui pétillent
Dans les petits coins pour soi
On s'assied
Et on trinque les verres

Sous le gris bleuté de la nuit
Des chansons osées
Dans le vent du soir qui attise
Les lumières d'amour des lampyres
Qui appellent à s'unir

À la surface de mon thé
Des bateaux miniatures flottent
La mer n'est pas furieuse
Alors ils flottent
Ils ne mettent pas le cap
Je les vois bord à bord
Barques de miettes sucrées
Souvenirs du croissant
Que je viens de manger

Ces bateaux sont si sages
Et même s'ils voulaient s'en aller vers ailleurs
Ils ne le pourraient pas
Les bords de faïence
Sont des falaises infranchissables
Ils se laissent gober
Certains d'entre eux retombent
Dans le fond de mon bol

Maintenant on dirait
Des algues ou des morceaux de roches
Au fond d'une baie vide
Quand vient la marée basse
Mon ventre lui est plein
La journée peut commencer

La petite Morlaisienne
S'estompe au fil du temps
Marche après marche
L'escalier qu'elle empreinte
Se défile
Elle pâlit
Sous sa coiffe esquissée
Les volutes de ses manchons
Perdent leurs rondeurs
Et sa frange est une ombre
Non plus noire de jais
Mais grise comme les tempes
D'une vieille photo
Échappée d'un tiroir
Aux odeurs naphtaline

À traits tirés
Sur les murs désavoués
Traquer
En chevauchant les rivières passantes
Réserver des répits
Sous les plis d'un parapluie
Bras dessus bras dessous
Regarder en grand
Du bas du pavé
Ces palissades tribales

Je me plais à croire
À la force qui vient des tréfonds des abysses
Quand les impossibles dressent leurs herses infranchissables
Elle surgit de l'inattendu
Des maillons huppés qui relâchent leur vigilance
Sous la morsure de l'horizon ensanglanté
Emmailloté dans l'imperfection de l'instant
Et brise l'infini des heures perdues

Sur la ligne de partage des eaux
Sur le front de nuit
Les rochers pleurent
Comme les femmes qui attendent le retour des hommes
Les rochers, dans la nuit
Entravent les coques
Les contourner plutôt que les affronter
La prudence s'apprend

Je quitte ma pièce anéchoïde
Et j'étire mon mufle
Je renifle sonore
Les fenaisons
Les algues qui pourrissent
L'herbe vite coupée
L'eau qui croupit
Les champs que l'on amende

Sur la ligne de flottaison
Un ruban d'argent grise le brouillard
Derrière l'enveloppe du flou
Deviner
Derrière l'absorption des teintes
Les lignées plissées
À fleur d'eau
Aborder nonchalamment
Les résidus d'algues en surface
À la pointe de flèches argentées
Un clown indolent dort sur la mer
Son nez posé sur sa poitrine épaisse
L'écume a rejoint le ciel
Après avoir déserté les vagues
Sur les rebonds de pierres
S'ouvre un festival de balises et rochers
Où les couleurs se jettent dans la mer

Sur les veinules
Sur les nervures
La mer rampe
Et moi je marche
Je marche sans torts et de travers
À travers les fosses des marées
Ces mares et refuges pour les bêtes de l'estran

Quel monde étrange et étranger !

Avec ces montagnes hérissées sous mes pieds
Ces clapotis doux qu'offrent des rivières minuscules
Ces caresses, ses piqûres qui réveillent
Ces chatouillis infimes, provoqués par les balancés de cils
Ces franges végétales auxquelles s'agrippent des ganses à capsules

Quelle langue !

Celle-ci au moins ne finira pas dans le seau d'un pêcheur
Prêt à se régaler de chairs molles
Sans se faire prier

Au fond de mon sac à dos éculé
Je jette mes chaussures aux semelles scellées de contrariétés
Et je marche, la bandoulière négligée
Sans contrainte de temps
Sans me préoccuper de mes plantes de pieds
Que je plante vaillamment
Sable, ciment, goudron
Peu importe
Mon besoin est ailleurs
Dans l'instant qui se joue
Sans emphase
Dans la nécessité de l'ici et maintenant
Je ne transige pas
Je transite
Et mon dos se redresse
J'avance
Avec adresse
J'assure ma présence
Avec une fierté primordiale et primaire
Je me resserre et me délasse
Me voilà bloc poreux piqué d'alvéoles lunaires
Comme la grève au moment où l'estran découvre ses largesses
Je capte l'amplitude du vide qui se comble
Dans la plénitude ajourée
Debout, ici
Sous ma pulpe de pieds
La route, la page ou le chemin
Qui avance
S'inscrit dans mes veines
Sous ma peau qui crisse le sel

Mon seau s'est rempli
D'eau de vies
De multiples bivalves
Qui planquaient bien leurs langues
Dans le sable des rivières menues
Qui restent sur l'estran
Le temps d'avant marée

J'ai cueilli ces trésors
En veillant à ne pas prendre ceux qui étaient trop minces
Ceux-là je les remis aussitôt dans les flaques
À cela j'avais droit

Les autres se sont cognés
Aux parois de mon seau
Au début, une musique frottée
Puis de plus grands silences
À mesure que leur nombre grandissait
Et me garantissait un régal, une promesse

Sur la table, le fruit de la récolte
Ça sent l'ail, le persil, la cueillette de mer
Les chairs délicates ont perdu leurs chapeaux
Elles ressemblent à la nacre
Mais fondent sous la langue
Qui en goûte le jus

La clarté ne perd pas patience
Elle s'étire à loisir
Presque sans fin
Avant que la nuit paraisse, enfin
La nuit qui révèle les ombres
Les ombres qui prennent formes
Les formes qui s'effacent
Les faces des maisons qui dorment
Les dormeurs qui s'allongent
Les longes lâchées des vaches
Au moins celles de Batz

J'aime les odeurs qui éclaboussent leurs effluves
J'aime les humer
Les faire miennes
Dans le profond de mon être
La vase, par exemple, souvent indésirable
La vase, donc, quand elle s'allie aux souvenirs de la pêche aux coquilles
Peu importe ou plutôt si, il m'importe
Qu'il en reste sur les mollets
Des ronds qui s'effaceront
Si par pur hasard s'enfileront les jambes d'un pantalon moulant

Les seaux vides de châteaux de sable
S'emplissent des stries des coques
Pleins de ces charnues
Bientôt nous nous rassasierons
En écartant les pans de ces lucarnes

Le jardin a fait peau neuve
Avant le départ
Imminence
Je regarde tourner les ailes des moulins
Papier, métal, couleurs
Elles ne dérogent pas à leur règle, tourner
Je ne détourne pas la tête
Je me branche sur leurs mouvements
Dans l'ascendance du souffle
Le mien soupire

Ranger
Chaque chose à sa place
Chaque chose a sa place
Les deux orthographes coïncident
Elles ne se télescopent pas
Étrange, toujours, ce temps du départ
Souhaité, oni, craint ou repoussé
Parfois un peu de tout ça
Alors les gestes arrivent à la rescousse
Ils aident à faire

Marcher dans les prés séchés par le vent
Chercher, mais sans trop, les champignons possibles
Puis oublier
Sentir le vent
Capter le vol des mouettes, celui des feuilles en tourbillons d'automne
Faire un saut dans le temps
Un temps de presque enfance
Lancinant

Retour à pied
Par les rues de nuitée
Les réverbères font des ronds de lumière
La nuit entame sa ronde
Et moi j'avance sur ce damier qui s'éclaire qui s'éteint
J'arrive à temps, avant que tout s'éclipse
Il est 21 h

Dans ses sillons d'eau
Le tablier retroussé
Elle jette son grain
Sur la semence de pluie

Je me coule avec délice dans le cocon de mon lit
Tandis que la nuit s'exaspère
Je l'entends grasseyer, souffler, pigner
Derrière la porte

Le ciel rogue grogne, se met en rogne
Impossible de savoir après qui il en a
Une certitude, sa colère déboulonne
Tout ce qui dépasse
Tout ce qui ne file pas droit
Tout ce qui l'importune
Même s'il n'y a pas de quoi
Il plisse le front
Bat des mains
Ouvre et ferme à tout va
Il veut nous montre de quel bois il se chauffe
Ses accalmies trompeuses ne sont que passagères

J'ai la gorge qui pique mais ma tête, libre
Pique vers la mer
Avec envie de voir
Les rochers dénudés quand l'eau laisse l'estran
Je roule
Ma bicyclette va son chemin bossu et sinueux

La lune m'arracherait presque au sommeil si je la laissais faire
Si je me laissais entraîner dans ses mailles
Quand elle est ronde, en plein, elle exerce sur moi une fascination
À laquelle j'ai si peu envie de me soustraire
Elle me regarde
Je la regarde aussi
Elle est ma soeur des cieux profonds qui inlassablement, chaque soir, trace son sillon
Le même et pourtant un autre
Courbé
Jamais semblable
Spectacle
Parce qu'elle promène avec elle une belle palanquée d'enchanteurs
Les nuages composent leur musique aux variations multiples
Ils se déchirent, ils s'agglutinent, s'éloignent, entrent en conciliabules
Quand le vent claque sa danse et joue de sa baguette aventurière

Profiter du soleil
Vite
Avant qu'il ne s'échappe

Les promesses ne sont pas toujours celles que l'on croit

Sur les prés, de minuscules bulles d'eau, des billes qui scintillent avant d'être avalées par la chaleur du jour
La route creuse ses virages
Elle descend dans le creux avant de remonter
Avant, elle passe le pont qui franchit la grand-voie

Par trois fois j'ai marché sur cette route bordée de mer
Par trois fois après que l'eau se soit retirée

La première, j'étais seule, et je m'accoudais à mon vélo
Je marchais plus que je ne roulais
Et je zieutais des trésors minuscules sur les bords de sable
Il y avait des escargots blancs tout secs et des champignons en colonie qui n'avaient même pas pris la peine de se cacher

La deuxième fois, c'est le vélo qui me portait
De temps en temps, je donnais un coup de pédale pour l'aider à avancer
Pas trop, pour voir si par hasard des chapeaux comestibles attendaient d'être cueillis
La deuxième fois, j'étais encore seule, avec un vent gris dans le creux de l'oreille, et la croix de lichen en haut de la bosse

La troisième fois, je ne cherchais plus à ramasser quoi que ce soit
Je me contentais de marcher avec quelqu'un d'autre à mes côtés et le soleil qui brillait sur l'estran
Ce jour-là était un dimanche de nonchalance, comme après un repas qui a infiniment rassasié
Les coquilles faisaient partie de ce présent
Les colons rabougris aussi
Sans exagérer leurs présences
Et la croix paraissait plus pâle parce que les nuages avaient déguerpi

Une femme porte un seau
Elle revient de cueillir quelques coquillages qui seront fameux une fois mis en poêle
Elle porte un foulard léger qui se prend dans le vent et un grattoir pour débusquer les bêtes
Et aussi un sourire, immense, de satisfaction simple
Elle se régale déjà de cette fricassée qu'elle pense miraculeuse parce qu'on ne trouve plus rien sur des côtes plus au sud
Elle parle des abus qui se faisaient jadis, quand on pêchait à seaux sans s'émouvoir de trop prendre à la mer
Les hommes n'ont pas toujours cette innocence qui est nécessaire pour considérer la terre
Ne pas commettre d'abus est un soin essentiel

Deux terres se font face
L'une bien accrochée, l'autre parfois se dérobe
Sur celle qui disparaît j'avance et je regarde l'autre, là-bas
Avec ses flèches, son port de haute mer, aux abords les bouées ancrées au monde d'eau
Pas de voiles, peu de vent
Mais ici, sur l'espace salé qui se découvre, des dos courbés qui écorcent la grève
Des dos se prélassent appuyés à la dune
Un enfant se presse pour rejoindre père et mère
Un homme crie comme s'il voulait réveiller les morts et son chien court
Je me demande si c'est juste colère ou rien d'autre qu'une manière de lancer sa voix

Éblouissement matinal
Le soleil darde avec énergie ses rayons de réveil
Là, dans le coin de mon oeil
Il me fait du gringue, il jouit de me voir cligner
Se cache derrière l'angle des bâtisses avant de réapparaître, moqueur
Il occupe le champ, entièrement, conquérant
Pour me dire que je n'ai pas le choix
La lumière est puissante, elle impose sa loi
Et la buée des vitres s'estompe, irrémédiablement

Derrière la vitre close, je devine la mer
Je ne peux pas la voir, elle est trop loin, mais du bout du regard, je la sens, je la devine
Il y a bien sûr, la couleur du ciel, jamais la même
Tantôt encourageante et parfois dérangeante, qui vire du bleu au gris et revient au limpide
Et je tends mes vaisseaux vers ce bel invisible, je cherche les cailloux luisants et modelés
Et je tends mon ventre vers le plein d'eau salée qui déborde ses hanches en courbe de faucille
Et je tends mon gosier qui aspire le piquant du varech aux coulées d'abandon
Et je quitte mon corps qui marche en solitaire

La grande arche de couleurs se mue en trompe l'oeil
Derrière se tient tapie, l'averse, sans impatience
Elle sait son heure venir, qu'on la désire ou pas
Au moment opportun elle surgit, toutes griffes dehors, pour nous saisir à coeur
Qui sans son parapluie
Qui en robe légère
Qui en tenue de rêve
Elle se marre et déploie sa gorge, grande
Par ses jeux fantasques
Elle décuple ses traits
C'est le lâcher des eaux
La rupture du barrage
Des pleurs de désespoir
Ou d'abondante joie

Sur le parking du cimetière
Des voitures bien rangées, sages comme des images repassées
Assis sur le siège avant de l'une d'elles, un personne à tête de chien
Oreilles plaquées
Ma tête se tourne d'elle-même vers cette apparition
L'illusion semble tellement réelle
Mais quand le chien, car c'en est un, bouge ses pavillons
Je constate qu'il n'y a, dans l'habitable, aucun conducteur
Je reste tout de même troublée

Le soleil, le soir, comme un lever de rideau
Après la journée hérissée d'hésitations
Un éblouissement, une irradiation, une fulgurance

Je tourne le moulin à légumes
La soupe je prépare
Poireaux, carottes, pommes de terre, persil au baume frisotté
Sans oublier le laurier et la pincée de sel
Je tourne le moulin à souvenirs
Les légumes craquent leurs chairs cuites
Je tourne la cuillère dans le bol de faïence blanche
Le beurre fond
Les morceaux de pain mollissent
J'ai posé la salière sur la table
Au cas où ça manque de grains

La lune, à peine perceptible, derrière l'arbre rond
Ronde, elle aussi, ou presque
Au fil des nuits, elle dégonfle son ventre
Ce soir, il est encore à moitié plein
Il entre en danse, entre les coursives
Introduction lente
Avant d'apparaître et de promettre
Pour ensuite s'effacer
Je ne vois que la frise qu'il éclaire
Mais je le sais là
Sous son drap de suie

Papilles en éveil
Les odeurs infusent
Capucines, fenouil, fumet lourd du fumier, macération acide dans le silo
Sous la croûte d'automne
Le gâteau a mis sa pelisse de neige
Le couteau tranche les parts, une pour chacune
La pomme sur le chemin a été grignotée
Affaire des limaces ou des cloportes
Je souffle dedans et la pose sur une marche de l'escalier à vis
Avec ses petits trous

La taupe a fini sa vie là
Dans ce recoin herbeux
Elle gît, les pattes en l'air
Je vois son corps sombre
Et ses petites griffes restées en attente
Indéfiniment

Enfourcher de nouveau ma bicyclette comme aurait dit Montand
Plaisir tout simple
Facilité de déplacement
Et la route quasi pour moi
Une route où je fais machine arrière
Quelque part du côté de l'enfance
Je ne fonce pas
Je vais d'un point à un autre
Je ne trace pas droit

La nuit a étalé son étoffe
Les avions dont les lumières rouges clignent tranchent le ciel
Les réverbères sont encore allumés, mais plus pour longtemps
À 21h, ce sera l'extinction des feux

Je croyais la nuit infinie
Au matin, elle était toujours là
Et le jour semblait ne jamais devoir apparaître
Je pensais le monde en noir
Avec les étoiles effacées
Et la lune distante
J'imaginais l'espace consumé
Sans espoir de retour
Empli d'absence
Mais aux premières lueurs
Ma vision a basculé
J'ai pu me réveiller

Ça sent la tambouille, le repas qui se fait
Les épluchures des légumes gisent sur la toile cirée
Carottes, pommes de terre, navet, poireaux
L'eau frémit
Le lait réchauffe son échine
Les odeurs flottent dans la maison et s'insinuent hors du territoire de la cuisine
Le soleil toque aux carreaux encore humides de nuit
Quel curieux !

La pendule fait des siennes
Ce matin, elle ne se contente pas de marquer l'heure convenablement
Elle sonne heures et demi-heures
Mais ne frappe pas les coups
Boulot fait à moitié

Et toujours ce carillon que j'avais pourtant pris soin de ne pas remonter
Il ne semble pas avoir besoin de moi pour s'actionner
Comme quoi, les objets ont leur propre vie, sans toujours se préoccuper des humains
Une invitation à écouter cette présence

Après une matinée de répit, le ciel est devenu gris
Gris des jours d'automne qui étirent leur flemme
Des jours qui n'ont guère envie de sortir des limbes
Sous le ciel bas aux cohortes d'oiseaux noirs
Je bine, je pioche, je désherbe
Et le jardin s'en accommode
Deux petits carrés avec encore quelques fleurs d'été
Mes cheveux s'embrouillent
Mes genoux se rouillent
Je sens des gouttes furtives se glisser dans le soir
Il est temps de ranger les outils dans le cabanon à la porte usée

Toute le nuit, le vent, la pluie
La nuit, girouette affolée
Toute la nuit
Et au matin, la lumière
Geyser d'énergie

Le linge passe sous le fer chaud
Vapeur
Humide
Telle la patte mouille qu'on utilisait jadis
Dans le temps où je commençais à apprendre les gestes
Pour ne pas faire de plis ou pour les appuyer

La pendule fait à peine entendre son tic tac
On dirait qu'elle sieste
Qu'elle se retient de déranger

Ce midi le crabe a régalé nos ventres
La mayonnaise était parfaite
J'en avais plein les doigts
De la chair intérieure
De la sauce au jaune d'oeuf
Mes mains sentaient la mer

Un faitout sur le poêle
Des herbes qui embaument
C'est fort, ça gratte
Les bûches se consument
Elles rougeoient
Lentement
La chaleur est bonne en partage

Nuit couleur sang d'encre
Compacte, puissante
Manteau lourd des heures qui se tassent
Dans la saison qui se calfeutre

Au moment où je me couche, où mon corps se prépare au repos
Le vent se lève
Pour redire sa présence, sa force surhumaine
Je l'entends se gripper dans les cordes
Friper le linge étendu l'après-midi même
Il l'entortille autour des fils
Je serai obligée au réveil de le dénouer
Chevelure de tissu fixée par des têtes d'épingles

La nuit déploie sa toile mirifique
Ses paquets de lumières jetés hors des filets
Avec des traînées de sable laissées par le marchand
Qui a le vide en poches
Puis vient le vent
Insistant
Il cherche à forcer les volets et les fenêtre closes
Son souffle est celui d'un ogre ventru
Qui a une faim immense
Parfois, cette faim se réveille, elle hurle, réclame sa pitance
Et les étoiles déguerpissent
Pour ne pas se faire laminer

Dans mon filet de sable
Je glisse mes rêves
Un à un
Pour qu'ils puissent s'échapper
Grain à grain
Selon leur fantaisie

Cela fait deux jours que je ne suis pas allée à la mer
Je n'en ai pas eu le temps
Mais je l'ai aperçue, de loin
Tandis que je roulais sur la route du bord
Cela fait deux jours, oui
Ce n'est pas rien
Parce qu'il y a eu des vagues de papier, des pages tournées
Dans une petite librairie à deux pas de la cathédrale
Et aussi, des vagues de mots et le concret des gestes
Quand se disposent des objets choisis dans l'espace
Celui de la petite chapelle
On y ressent des frissons de saison

Je suis de retour
La lune est bienveillante
Je reluque ses rondeurs
Elle roule sur la nuit
Cela me rassure de la savoir ici
Comme si elle m'attendait

Je ralentis mon rythme
Imperceptiblement
Le matin reste au chaud
Je sais que la lumière ne sera pas matinale
J'attends qu'elle se pointe

Une fille à pullover rouge
Auprès d'un cheval qui court
La bride à la dérive
Sur la route qui sinue
À travers la campagne

Un homme en habit jaune
Il court
Ses bourrelets gigotent sous le maillot

Un homme à roulettes fait tourner ses pneus
À la force des poignets

Plus loin, deux mimosas jaune d'or
Pas jaune d'oeuf

En contrebas, une voiture
Orange
Petite mais pas ronde

Griffes dans le ciel qui laisse à peine percer le bleu
Des pâles tournantes
Des barres d'arbres bruns
Au bord des creux, des chemins
Les ajoncs en profitent pour sortir leurs pics jaunes et odorants

Mes mains sentent la vase
Celle que l'on contourne
Celle que l'on redoute
Celle qui happe les pas
Et les rend las
J'ai touillé son ventre brun
Pour y glaner des vies
Protégées par des coques
Qui ont même couleur
Après avoir repéré le son qui chante à l'oreille gourmande
J'ai cueilli et glissé
Les palourdes striées
Dans mon seau d'eau de mer


À la frange du soir
Je traque le soleil qui glisse vers l'abîme
Dont le saut se confond avec le couchant du jour
Devant moi, une prairie de vase stagnante
À l'ouest, la chute, la verticalité
Devant, le plat, le faux immobile
Derrière moi, les buissons qui passent au crible le chant des oiseaux
Une corneille vole en rase-motte
Le soleil est parti réveiller l'autre bord de la terre
Je tourne les talons
La traque est terminée

Chagrin du gris qui descend en pluie
Il m'invite à accueillir la mélancolie du paysage qui s'écoule en buée froide
Monotonie du jour
Ici, la pluie étire sa langueur
Pas d'oiseau en vue mais les têtes paumées des arbres
Le gris éponge la pluie
Seul le jaune des ajoncs demeure
Une tache dans l'oeil vert


Au bord du chemin
Des veilleurs
Un Égyptien docte
Un menhir modeste
Deux balançoires silencieuses

Le soleil fesse le cul des oiseaux
Avant de tirer sa révérence
Sans hâte

Effacement dans la lenteur
Derrière les tamaris
Amplitude du souffle
Dont l'échine se creuse

Avant, en face, il y avait un arbre
Puis, soudainement, il a disparu
À la place du souvenir il a plu
Une pluie douce pour atténuer ses pleurs
Pour éloigner les peines
Pour panser les plaies
De ceux qui l'avait connu
Même s'il ne restait rien du souvenir
Même si tout avait été balayé
Pas de sciure
Pas de racines
L'effacement par une opération propre et définitive
Pour qu'il n'y ait pas de regret
Regrets d'une balançoire accrochée aux branches
Regrets du cochon pendu
Regrets du ballon juché sur ses aiguilles
Pourtant il restait un regret
Le chant haut perché avait cessé
L'oiseau noir ne viendrait plus
Ni matin ni midi ni soir
L'horloge était bel et bien détraquée

Des algues comme des galettes
Séchées sur les herbes
Vidées de leur substance
Sortes de draps en charpie
On en oublierait presque leur dangerosité
Si proche
Quand les relents parviennent à nos narines indisposées
Et battent le rappel

Vol fou des hirondelles
Vol sans fin
Agitation
Piquer
Verser
Virer
Vols rasants
Que nous traversons
Sans risquer d'être pris en chasse


Une famille de pattes à palmes
Trottine en rebord de nuit et de route
Toutes plumes aux aguets
Heureusement
Notre voiture n'est pas trop pressée
Elle a eu le temps de gagner le fourré