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Véronique PEDRERO

Du plus loin que je me souvienne

Du plus loin que je me souvienne
Je ne me rappelle pas
De ta main dans la mienne
Ni de mots rassurants
De ma joue dans ton cou

Mais j’entends encore
Tes talons pointés claquer dur
Sur le carrelage
Un cliquetis d’aiguilles
Qui tirait la laine sortie de tes pelotes

Je vois aussi
Un bouquet de malices tendres
Cueillies dans les fleurs
Que tu aimais soigner
Une table bien dressée
Des éventails aux verres
La fierté de tes mains
Quand l’ouvrage était fait

Je me régalerais bien encore
Du chocolat fondant sur les gâteaux dorés
Que je goûtais avant au fond du moule beurré
Avec l’envie furieuse de le tout dévorer

À l’âge où nous faisions des balades champêtres
Nous chapardions ensemble les pommes de vergers
Et aux soirées de bals, sous le gui, les couleurs
Les volants de ta robe virevoltaient leurs valses

Je t’ai sue un jour
Sur ton vélo partie pour que je m’en revienne
Et pour ne pas me perdre
Encore aujourd’hui
Lorsque je fais de même
Pousser une brouette
De pierres que tu glanais
Pour tracer le jardin
Je te vois

J’aurais sans doute aimé
Je te l’avoue ce jour
Entendre davantage les touches du piano
Des mélodies classiques aux partitions récentes

Si je sais que ce piano a bien sûr existé
Je sais aussi que souvent il était dans tes rêves
Tu disais en jouer
Mais il restait fermé

J’aurais voulu avoir avec toi connivence
Pouvoir me confier
Aller boire un café
Ou un thé au bistrot
Parler de mes lectures
Et des gens que j’aimais
Bref, grandir l’une l’autre ensemble
Je restais ton enfant
Qui bousculait le monde
Nous avions bien du mal
L’une l’autre à nous comprendre

Le temps ne parvenait guère à arrondir les angles
Nous nous griffions le coeur

Je te regarde aujourd’hui
Toi
Vieille poupée de cire aux yeux presque fermés
Et j’entends une larme
Que j’entrevois à peine

Et pour la première fois
Je mets mes mains en coupe
Dans le creux de la tienne
Je caresse ton épaule et le haut de ton front

Ton papillon de chair va déplier ses ailes
Et prendre des couleurs au dos de l’arc-en-ciel

À moi de tricoter
Des écharpes de laine
Des mots pour apaiser
De poser dans un vase
Les doux parfums des prés
De ramasser les brins
Qui se sont embrouillés
D’en faire un lit douillet
Où tu pourras dormir