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Sébastien BROUCKE

La colombe du parc


Toujours elle est assise alors que je promène
Sur elle mon regard comme un ciel sur la plaine.
Penchée sur quelque livre on la devine ailleurs,
S’enthousiasmant le cœur sous des lueurs meilleures.
Elle ignore les gens, le soleil, les parfums,
Qui nous remplissent l’air et pavent nos chemins.
Sa tête tourne autant que ses doigts sur ses pages,
Et ses plus beaux jardins fleurissent en images.
Elle a de blancs habits, j’en contemple les formes,
Et son minois parfait me plait dessous son orme.
Je m’assois devant elle et j’observe à loisir
Les mines qu’elle fait, ses craintes, son sourire.
Je devine un manoir, j’imagine un sentier,
Là des bouquets de joie où s’élance son pied.
Un jour elle est princesse, un autre elle est bergère,
Mais je hais les amants de son imaginaire…
Traverse-t-elle un champ, va-t-elle en un château,
Mon amour la poursuit de ses fougueux chevaux !
A se plaire en son rêve, elle passe des heures,
Raccompagnant en sœur l’après-midi qui meurt.
Des passants vont sans fin là-haut sur l’esplanade,
Quand moi je n’ai qu’un but à chaque promenade.
D’elle je ne sais rien mais que savoir de mieux,
Que ce rai de lumière éblouissant mes yeux.
Je cultive l’ennui, les ombres où rougir,
Tout au fond de l’allée où sa statue respire…
La ligne de sa nuque hantée de boucles noires,
Enfante en mon silence un soleil à l’espoir.
Mon horizon réduit aux courbes de sa chair,
Mes dix doigts agités s’inventent des repères…
A des mots différents je veux qu’elle se pâme,
Laissez-moi l’abreuver, lui remplir toute l’âme,
Ah, lui verser au cœur des folies de poètes !
S’il me faut du courage, à genoux qu’on me jette,
Si je ne sais parler qu’on me donne d’écrire,
Pour que brillent ses yeux tout émus de me lire !
J’aimerais qu’en ce parc nos deux bancs communiquent,
Que rien ne soit plus grand que cette histoire unique…
Entendez-vous nos cœurs lorsque descend le soir,
Le sien dans son donjon, le mien dans un mouchoir ?
Ma statue se relève, une angoisse m’oppresse,
Fera-t-il beau demain, reverrai-je ses tresses…
L’humidité qu’obombre un grand astre livide,
Me burine l’esprit redevenu solide.
Comme hier on m’ignore et déjà sous la grille,
Sa silhouette passe au loin telle une aiguille.
Là, plantée dans mon âme elle évide mon cœur,
Admirable douleur dont je goûte l’horreur.
Je n’ose la poursuivre et lâche et sans bougie,
Je ne suis qu’un aède amputé d’élégie !
Courir, la rattraper pour tenter de revoir
Ce dont rêve un aveugle environné de noir ?
Avant que de rentrer dans l’ombre du vieux bourg,
M’éclairer aux grands feux de ses yeux sans détour,
M’attabler et reboire à la coupe parfaite,
De son visage d’ange où chaque trait se fête.
Je voudrais un conseil, un ami qui se lève,
Être la branche enfin qui fleurit de sa sève,
Pour porter en bouquets, en corbeilles de mots,
Tous les frissons qui font se soulever ma peau.
Prostré sur une chaise en pensant à un banc,
J’ai la tête embrumée par un nuage blanc.
Il est tard à nouveau et seul en ma maison,
Je cherche sans bouger un reste de raison.
J’ai honte d’avoir mal, j’ai honte, je rougis,
Quand je devrais oser, j’attends de la magie,
Un ange qui serait ému par ma misère,
Une main qui viendrait comme celle d’un père…
Ah ! Servez-moi ce vin dont la robe est d’ivoire,
Rendez à mon regard l’alcool qu’il voudrait boire !
J’entends presqu’en mon cœur des prières païennes,
Tant je perdrais ce soir mon âme pour la sienne…
Demain je n’irai pas sur mon banc raisonnable,
J’irai m’agenouiller devant son cœur aimable,
Et murmurant bonjour, je lui demanderai,
S’il est habituel qu’on n’ose l’aborder.
Je sourirai, c’est tout, et laisserai ma joie
Parler sans oraison de ce qui brûle en moi.
Puis je lui conterai l’histoire où la colombe
Fit sortir un beau jour un oiseau de sa tombe…