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Roger VIDAL

A ma mère

Quand descend le silence au fond de moi je rêve,
Des images ténues, qui montent jusqu'au ciel,
Peut-être es-tu là – bas, où le jour clair se lève,
Peut-être ajoutes-tu des tons à l'arc-en-ciel.
J’ai reconnu la nuit, à la vie qui s’endort
Comme dans la chanson, l’enfant désespéré,
Cherchait tes yeux, au ciel, dans les poussières d'or,
Mais tout comme mes yeux, les étoiles pleuraient.

Alors j'ai accompli les gestes de la vie,
Comme aller acheter notre gaz chez Julien,
Ou brancher la télé qui a si peu servi,
Saluer les voisins, renouer les liens.
Les mots de tous les jours, je les ai récité,
J'ai tout ouvert en grand afin que l'air circule,
J'ai remis l'eau courante et l'électricité,
Posé la moustiquaire et monté la pendule.
J'ai ré apprivoisé les choses, une à une,
Ta boite aux mille fils, la glace du couloir,
La chaise bancale, la bouteille de prunes,
J'ai réveillé enfin la maison, sans vouloir.
J'ai revu le grenier avec mes yeux d’enfant,
Tu as laissé pour nous, tes cahiers de chansons,
Des vestes de velours, la BD de Fanfan,
Des cartes répandues, des laines à foison.
J'ai entendu la pluie qui tombait sur le toit,
J'ai mis des seaux dessous, tout comme au bon vieux temps
Alors, j'ai cru ouïr quelques mots de patois,
Qui remontaient je crois, au moins a quarante ans.
J'ai retrouvé la vie, au rythme du village,
La cloche du midi, une paix infinie,
Des vaches qui vont paître aux pairies du barrage,
Des martinets en joie, arrondissant leur nid.
J'ai retrouvé la vie, au quotidien banal,
Jusqu'à la garrigue, j'ai couru dans les rues,
Cherché des champignons dans les prés du canal,
Désherbé la tombe de nos chers disparus.
J’ai perçu les senteurs humides de la terre
Revu l'endroit précis où j'ai cueilli souvent
Des nards si odorants pour la fête des mères,
Il m'a semblé que tu chantais avec le vent.
J'ai fait craquer, sur le sentier, les feuilles mortes,
Au chemin du retour, j'ai marché lentement,
Devant la cour déjà, sur le pas de la porte,
La maison rayonnait de ta chaleur, maman.
Sur des photos jaunies, j'ai rêvé longuement,
Jules Verne, Delly, tes rois et mes corsaires,
J'ai relu doucement, le poème "A maman",
Que j'avais composé pour ton anniversaire.
J'ai appris, à tâtons, ton monde familier,
Les miettes aux oiseaux, les mots croisés, les livres,
Et par cet univers, enfin réconcilié,
Je t’ai senti, en moi et renaître et revivre

19/10/1987