Les ruminantes
Vaches de mon pays, d'herbe grasse, gourmandes,
Princesses des prairies ou bêtes de concours
Avec vos cils soyeux et vos yeux en amande,
C'est pour vous aujourd'hui que ma plume discourt.
Abondances, aubracs, normandes, montbéliardes,
Limousines, salers, camargues, bleues du Nord,
Que votre patte soit marine ou montagnarde,
C'est toujours pour fouler votre plancher d'abord.
On redoute souvent le piquant de vos cornes
Qu'elles soient évasées, en lyre ou en croissant,
Sans songer qu'avant tout, c'est la broche qui orne
Votre chignon noueux, hirsute ou ravissant.
Vous savez parader, rivaliser d'allure
Avec vos robes pie, froment ou acajou,
Vos pigments mouchetés, vos taches, vos bringeures
Dont vous vous affublez de la queue jusqu'au cou.
Expertes en lotier et en flouve odorante,
En trèfle et en sainfoin, en houlque aux verts épis,
En brome et en fétuque, en fléole courante,
En graminées qui font la crème de vos pis,
Chères, nous, les gourmets, vous sommes redevables
Pour le grand pont l'évèque et pour le reblochon,
Le beaufort, le cantal, ces piliers de la table,
La fourme persillée, l'époisses bourguignon.
Mais moi, admirateur de votre nonchalance,
De toute autre façon, je vous suis obligé
A vous voir longuement mâcher votre pitance
D'ainsi me désigner la voie où m'engager.
Les idées et les mots pénètrent dans la panse
De mon cerveau brouillon, passent dans le bonnet
Pour faire une bouillie que je rumine et pense
Plein de détachement et d'un flegme complet.
Alors par le feuillet et puis par la caillette
Je digère au final l'aliment usité
Pour ensuite livrer le bon lait de ma traite
Où revit le parfum de ce que j'ai brouté.
