La verve
Il me siérait parfois que s'écoulent les mots,
Intarissablement de ma plume loquace,
Comme un torrent puissant chargé de minéraux
Jaillit de la montagne avec fougue et audace.
Gratte, gratte ma plume et sois déterminée
A mouiller le papier de ta salive noire,
J'aime le bruit feutré, patient et décharné
Que laisse, en furetant, ton bec sur l'écritoire.
Installe mon humeur et ma verve fébrile
Dans le confort brillant du père alexandrin
Pour me véhiculer vers des sphères nubiles
Sans avoir à souffrir des cahots du terrain.
Oui, trouve le bon rythme et maintiens la cadence,
Déroule le ruban d'un sapide propos
Afin que mon ardeur se targue d'éloquence
Et cueille par ton biais un semblant de repos.
Quelle jubilation d'avoir entre ses doigts
La fibre d'un poème et sa moelle épinière!
Il n'est pas terminé et pourtant déjà là,
Palpitant et poussant sa complainte première.
Quelle fête intérieure et pourtant quel supplice
D'être en proie aux tourments qu'offre la création!
J'évolue dans les rets de la langue nourrice
Comme dans une ville aux sinueux bas-fonds.
Prisonnier besogneux de ce grand labyrinthe,
J'erre, le coeur serré, trébuchant, indécis,
Ne sachant m'orienter, je butte et je m'éreinte
Pour quérir la lumière en un trajet précis.
Et mon inspiration, toujours trop impulsive,
Se décante au tamis de ma propre rigueur
Pour que mes phrases soient un peu plus incisives
Mais gardent néanmoins un élan de candeur.
Je t'écris, mon poème, avec la même enquête
Qui guide le sculpteur sur sa pièce de bois:
Il dégrossit d'abord, taille la silhouette,
Puis dans l'affinement, obstinément s'emploie.
Pour ciseler ainsi ma langue véhémente
-Il faut au matériau des outils adaptés-
J'utilise un maillet de hargne nonchalente
Et un biseau tranchant de sensibilité
Le temps importe peu dans ce façonnement,
Que sont donc quelques jours pour qu'un mot ait sa place,
Puisqu'enfin il la trouve et que, pécheur patient,
Je ramène toujours des prises dans ma nasse?
Aussi, comme un bienfait généreux, je salue
La prompte apparition d'une idée dans mon crâne
Et son cheminement pour un soleil de plus
A mettre au firmament de mon vert patrimoine.
