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Renaud BOSC

La tour d’ivoire

Encore une journée à devoir affronter,
De mes frères humains, l’opaque multitude
Où il me semble voir souvent se refléter
Comme dans un miroir ma propre solitude.

Dans le lacis des rues, les transports en commun,
Le trajet quotidien, jamais la même tête
Mais un long défilé mobile et importun
D’inconnus sans chaleur qui sur ma vie empiète.

Dans mon activité, je dois aussi subir,
De la part de certains le mièvre bavardage
Et d’autres – se laissant par l’usure envahir –
Une compromission qui a l’air d’un naufrage.

Pris entre la bêtise et la passivité,
Et l’esprit pollué d’une sourde humeur noire,
Comme Alceste le fit, je songe à déserter
Et à me réfugier dans une tour d’ivoire.

Ce serait un logis affranchi des rumeurs
Que distille sans fin l’ébullition du monde
Où je cultiverais mille petits bonheurs
Et d’où je mènerais ma pacifique fronde.

Ah ! Ne plus être acteur d’une conversation
Ni me décarcasser pour un propos étique
Mais glisser dans le bain de la contemplation
Et d’un réconfortant silence monastique !

Observer le volume et les combinaisons
Que façonne le vent sur les nues malléables
Et, seulement porté par le cours des saisons,
Laisser venir à moi les petits mots aimables !

Faire mon élixir de moments partagés
Avec nombre d’auteurs, poètes, philosophes
Dont les ouvrages sont sur mes murs étagés
Et qui, de ces rayons, tour à tour m’apostrophent !

Mais ce rêve n’est pas une vie à souhaiter
Et annonce plutôt un goût pour la paresse,
Ce serait succomber à la facilité,
Comme un renoncement, un aveu de faiblesse.

Mes semblables ne sont pas si désespérants,
Il faut continuer d’aller à leur rencontre,
Chercher à distinguer les éclats pénétrants
Parmi tous les défauts que leur dehors me montre.

Et moi qui les dépeints, me suis-je regardé ?
Qu’ai-je donc de si grand pour snober leur présence ?
Ne présenté-je pas pour qui vient m’aborder
Une figure qui, triste, plombe l’ambiance ?

L’asile de ma tour d’ivoire est assuré
Et son séjour douillet souvent me rassérène
Mais ce n’est qu’un abri fait pour me pondérer
Avant de retourner me jeter dans l’arène.