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Michèle BRODOWICZ

La louve et le berger (fable)

Privée de ses petits, la louve solitaire
Explore les alpages, les bois et les forêts,
Le regard acéré, les oreilles dressées,
La démarche altière entre sombre et lumière.

Une brise légère agite les feuillages
La douceur de l’été la frôle et la caresse ;
Elle écoute le vent à la voix de tendresse
Lui chanter la beauté d’un monde sans nuages.

Au lointain, des moutons paissent tranquillement,
Protégés par des chiens savamment éduqués
Qui surveillent, attentifs, tous mouvements suspects
De ce troupeau de laine au cerveau inconscient.

Son appétit est grand et l’occasion trop belle ;
Sauvage est son instinct, la chasse son destin.
Mais rôde en sa mémoire le chant du vent malin
- Il ne sait pas la faim pour être aussi cruel !

Quelques efforts plus tard, ses envies retenues,
Elle épie les nocturnes des heures qui déclinent
Où, entre chien et loup, les craintes se dessinent
Sur les corps et les âmes en ombres inconnues.

La bergerie s’endort sous les cieux assombris ;
Propice est le moment d’approcher en silence
De ce garde-manger et d’y faire bombance,
De déjouer, aussi, du berger les soucis.

Derrière la vitre, le berger l’aperçoit ;
Il sort de la maison, ne prend pas son fusil
Connaissant la femelle et son grand appétit,
Lui propose un morceau de rôti d’agneau froid.

La belle, toute excitée, accepte volontiers
Sachant que ce hors-d’oeuvre jamais ne suffirait ;
L’agneau, c’est délicieux mais ce gentil berger…
Se pourrait-il ? Oh non ! Quelle folle pensée !

Elle avait oublié le chant de l’alizé,
Avait omis, aussi, que l’humain n’est pas sot,
Que, si pieds elle avait, porterait des sabots
Que, seul, un mort d’ennui, aveugle ne verrait.

Une louve affamée, un berger esseulé,
Des moutons et des chiens qu’il aime éperdument…
Soudain... un coup de feu, un rauque grognement
Et tous les deux s’effondrent sous le ciel médusé.

Que l’on soit loup ou louve, berger ou bien bergère
A vouloir trop jouer on en perd l’essentiel
On vend son âme au diable, on feinte, on ensorcelle ;
La chasse est meurtrière et s’éteint la lumière.


07/2004