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Michel BERNARD

Le joueur

Cher Fedor,

De joueur à joueur,
Je te suis :
La vie nous brûle,
Nous sommes fétus
Et, portés par le vent, croyons savoir
Agrippés au gouvernail, repérer notre étoile,
Perdue dans la nuit.

De joueur à joueur,
Je double la mise :
Jamais plus que sur la corde raide
Je ne me suis senti plus vivant
Et, cassant mes certitudes, j'ai saisi
Une liberté qui me grise comme une folle
Chevauchée sur un étalon fougueux.

De joueur à joueur,
Je coinche:
Chaque rayon de vie me semble plus intense
Et je jouis
Du sentiment de toute-puissance
Que confère à un homme l'expérience
D'être allé au-delà de ses peurs.

De joueur à joueur
Je passe:
S'abandonner au plaisir des sens
Et se dire que tout est permis,
C'est aussi se perdre un peu,
Laisser morale et naïveté derrière soi
Ainsi que l'avatar d'une vie.

De joueur à joueur
Je te rends ton bluff :
Ce faisant, c'est aussi trahir
Tous ceux qui prenaient appui
Sur ce madrier,
Menteur et creux,
Qu'on jugeait si sûr et si droit.

De joueur à joueur,
Je t'abandonne le tapis :
La roue tourne et je m'épuise;
Je n'ai plus de mise, je réintroduis
Le réel, le rassurant présent.
Avec délice l'esprit libre se brûle les doigts
Jusqu'à ne plus sentir les bouts et perd tout atout

De joueur à joueur,
La main passe, rien ne va plus :
à la force du vent, on ne roule qu'un instant,
Et pour ne pas rester au bord de la route
Nous autres humains nous nourrissons
D'hydrocarbure,
De corps et d'eau, de corps et d'eau...

C'est pourquoi,