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MBIN Gustave

En Attendant que siffle le train…

12 Oct.1993 11H Au soir Yaoundé RC



Il fait sombre à la gare,
Je suis seul, je n’ai pas froid.
Je pars en voyage,
Je vais au loin, loin du Canton,

Je quitte les miens, et le Lac.
Je vais prendre ce train,
Je serai son unique voyageur,
Je m’en vais pour Demain.
J’ai été un peu trop rêveur…

Quand les miens m’ont regardé,
C’était vraiment l’ultime fois.
Pour moi ils ont voulu pleurer,
Et ont raffermi leur vaine foi.

Pour moi ils ont beaucoup prié ;
Je me demande s’ils savent…

Je pars en voyage,
Je quitte le Canton,
Je déteste mon visage,
Je leur laisse ma maison,

Pas pour le Nord, ni pour l’Ouest,
Pas pour le sud, ni pour l’Est.

Où donc vais-je ?
Je ne le sais pas.
Je ne le sais pas encore.
Je vais prendre ce train,
Qui n’a plus qu’un seul wagon,
Pourrai-je parler au conducteur ?
Ca je ne le sais pas !
Y a-il même un conducteur ?
Je ne le crois pas !
Je ne le crois plus !

Il fait sombre à la gare ;
Pourquoi donc suis-je là ?
J’emporte cet attaché-case,
Et non pas ma grande valise ;
Tous mes effets étaient épars,
Même mes souvenirs avec Elise.

Je n’ai rien pris d’autre, rien !
Peut-être est-ce cela le destin !
Je n’ai même plus mes souvenirs.
Et je semble connaître mon chemin !

Je semble ne voir que çà !
Cette grande salle aux murs blancs.
Un gobelet et beaucoup de cachets.
Des cachets et aussi une fourchette.

Même pas le bruit du vent !
Et puis, à droite, là tout près,
Les mains entre les jambes,
Elise qui paie encore les frais,
Les yeux tous près du sol,
Calme, forte, silencieuse,

Dans ces moments-là,
Je crois, elle prie son dieu.
Elle l’implore, quémande son pardon,
Même pour le mal qu’elle n’a pas commis ;
Elle prie, elle pleure, elle supplie ;
Des larmes coulent sur ses joues ;
Des larmes qu’elle essuie brusquement,
C’est mieux ! Sinon elle serait à plaindre.

Et çà, je ne le supporterai pas.
Je ne veux pas qu’elle pleure !
Et pourquoi même prit-elle ?
Sa vie serait-elle plus belle ?

Je veux bien lui dire un mot…
Un seul, rien, qu’un seul mot.

Je le pense …
Je le pense très fort ;
Mais je ne le peux pas…
Je me contente, je la regarde ;

Elle me regarde…
Et d’autres larmes coulent de ses yeux ;

Je ne parle pas …
Je ne parle plus !
Je ne peux plus parler.
Encore un effort… !
Rien ! Je ressens sa peine et j’ai honte.
Une rivière se creuse sur ma joue.
Mes yeux sont un grand océan ;
Une larme, une autre et encore…
Des larmes, encore des larmes…
Des larmes qu’Elise ne supporte pas.
Elle va, elle aussi, pleurer,
Et çà, je ne le voudrais pas !
Elle se lève, viens vers moi,
Se penche sur mon pâle visage,
Caresse mon petit visage ;
Et cherche mon regard perdu…
Mon regard qui ne bouge pas.
Elle passe la main dans mes cheveux,

Je crois savoir que dans ces moments-là,
Elle se souvient de la tendresse qu’on se donnait…
Du temps de la jeunesse et de la vigueur,
Qu’on était jeune, fort et heureux !
On s’amusait vraiment alors…
Elle caresse mes cheveux devenus soyeux.

Je vais frémir…
Je veux frémir !
Je veux :
-Sentir la chaleur sous ses caresses,
-Sentir l’essence de cette tendresse,
-Sentir ma voix résonner pour elle,
-Sentir la sienne chaude et rebelle,
-Sentir ma main dans son dos, sur sa joue,
-Sentir l’essence de notre vieil amour,
-Sentir le contact de ses jambes,
-Sentir mon petit coeur qui flambe,

Mais rien !
Je ne fais que penser…
Ce que je ressens, j’ai honte, je crois !
Mes forces ont disparues à jamais.
Je n’ai plus d’adrénaline ;
Mes yeux de larmes sont fixes,
Ils regardent Elise,
Un regard de marbre pour l’église,
Parlent-ils vraiment à Elise ?
Et elle, les comprend-elle ?

Elle cherche mon regard perdu…
Et me parle tout doucement.
Je veux entendre sa voix chaude,
J’observe ses lèvres qui dansent.
Que disent-ils ?

Je veux entendre !
Mais rien !
Je ne peux plus entendre.
Mais Elise, je crois la comprendre,
-Elle me parle encore d’espoir,
-Elle me parle de son dieu,
-Elle me parle de la milice des jeunes,
-Elle me parle des nouvelles pluies,
-Elle me parle du travail des champs,
-Elle me parle du pouvoir du maire,
-Elle me parle de ce que j’aurai laissé,
-Elle me parle de mon honneur,

Mais moi je n’ai plus d’honneur !
A quoi cela a servi !
Que j’organise des parties de pêche ?
Que je m’oppose aux avis du maire ?
Que je déteste ma vie dans ce canton ?

Et mon esprit de Fakir pauvre près du Lac municipal?

Elise me parle tout doucement !
Son regard implore mon pardon,
Sur les infortunes causées par les autres,
Elle me parle de son dieu,
De sa bonté, de son amour,
De son geste miséricordieux,

Elle dit encore qu’il est bon,
Et entre ses larmes, elle sourit !
C’est la vie, elle est bien drôle !
Et une autre larme coule sur ses joues,
Mes paupières lourdes ne battent plus.
Mon regard est droit devant moi.
Il fait sombre à la gare !
Le noir tombera bientôt !
Crépuscule d’une vie, de ma vie.

Je ne devais pas laisser ces objets épars !
Je n’ai pas pu tout emporter dans mes bagages.
Qu’aurait été la solution sage ?
Je ne le sais pas, je ne le sais plus.

J’ai perdu, je perds.
Oui, c’est vrai, je perds tout…
Toute mon assurance de l’homme fort.
Cette allure de celui qui sait tout
De celui qui n’accepte jamais d’avoir tort.

Je perds mon esprit hautain !
Qui m’a procuré pourtant tant de plaisir.
Et a satisfait nombreux de mes desseins,
Je perds ce regard de vainqueur,
Aux soirs des jours de chance.
Quand venait à moi l’ombre du petit bonheur,
Qui me transportait dans d’autres mondes,
Et où je fêtais dans la belle romance…

Je perds mon esprit ingrat et égoïste,
Qui n’acceptait plus de partager,
Et me faisait détester l’homme juste.
A quoi a-t-il servi de tout cacher ?

Je perds mon esprit moqueur,
Je perds tout et tout le monde,
Que m’aura apporté la rancoeur ?
Peut-être d’ailleurs est-ce là l’amende…

Je revois ces tuyaux aux glucoses,
Qui laissent couler le liquide dans mes vaines,
Je revois ce cher ami des années roses,
Je sens qu’il porte son coeur en peine…

———————————————

Il fait sombre à la gare,
Et mon train n’arrive pas.
L’homme s’est fait rare,
Mais mon âme ne désarme pas.

Quand les miens m’ont regardé,
C’était l’ultime fois.
Pour moi ils vont vouloir pleurer…
Et raffermir leur foi,

Pour moi ils vont encore prier,
Je me suis dit : « s’ils savent… ! »
Ce soir je pars en voyage,
Dans la mer ou dans le fleuve,

Dans le ciel ou dans un nuage,
Dans mes songes ou dans mon rêve,

Dans le noir, je prendrai le train ;
Je serai le seul voyageur,
-Je n’emporte pas du pain,
-Je n’emporte pas mon coeur,
-Je n’emporte pas le grain,
-Ni le temps et pas le malheur,
-Ni le vent et pas la douleur,
-Ni le bien et pas le bonheur,
-Ni les miens et pas la douceur ;

Il fait sombre à cette heure ;
Et mon train n’arrive pas ;
Je serai le seul voyageur ;
Mon âme ne désarme pas ;

Elle ira jusqu’au bout,
Pour ressentir mes souffrances ;
Elle tiendra encore debout ;
Pour jouir de ma délivrance ;

Ou pour me dire mes secrets,
Au seuil de ma condamnation ;
Elle voudra me tenir prêt,
A accepter de faire confession.

Et quand je serai très loin, là-bas ;
Penserai-je encore ce cher ami,
Qui entre très souvent dans cette salle,
Aux murs blancs qui m’entourent ?
Bientôt, il sera de nouveau là ;
Car c’est le seul ami qui me reste,
Il me parlera cette fois calmement,
Et il sera triste pendant un moment,
Voudra-t-il ainsi attirer mon regard ?
Puis il blaguera, ensuite il sourira,
Pensera ainsi me remonter le moral,

Me remonter le moral, mon moral !
Mais moi je n’ai plus de moral !
Qu’il est drôle, mon cher ami !
Il est moins soucieux ce mois,
Et pourtant combien qu’il se gène !
Sûrement qu’il me cache des choses !
Peut-être bien qu’il cache sa pitié !
Peut-être bien que lui au moins sait !
Et moi aussi, je veux bien le savoir !

J’ai bien envie de lui parler !
Lui demander, je le pense !
Oui, je le pense, mais je ne peux parler.

Où est ma voix ?
Je la veux entendre !
Même triste, noire ou pâle,
Mais l’entendre, …ma voix,

La sentir résonner dans le noir,
Dans le noir de ce silencieux quai,
Le quai de cette triste gare,

Cette triste gare qui m’appelle,
Mais, entendre ma voix, l’entendre,
Et aussi, entendre ce que me dit l’autre,
Que me dit-il donc, ce cher ami ?

Il fait des efforts, il me sourit,
Et avec beaucoup de volonté.
Il a son regard dans le mien,
Les prunelles de ses yeux vont le trahir,
Je peux y lire ce qu’il ne veut me dire,
Ou qu’il me dit et que je ne peux entendre.
Il se tourne vers Elise, calme dans son coin,
Il la regarde longtemps, d’un drôle d’air,
Un air menaçant, mais pas méchant,
Mais plutôt un air vraiment sévère,
Puis il lui murmure quelque chose,
En réprimant son envie de faire de grands gestes,
Elise, elle, secoue déjà la tête,
Elle l’a manifestement compris,
Elle trouve qu’il a raison,

Et machinalement elle essuie ses larmes,
Et mon cher ami semble plus serein,
Du regard, il l’encourage,
Il veut qu’elle me sourit
Car déjà Elise me sourit vraiment !
Il est bien bon, mon seul et unique ami,
Il s’en sort très bien avec tout ça ;
Et Elise continue de sourire,
Caressant mes doigts qui ne bougent plus,
Les serre dans les siens, entre les siens,
Et voudrait que leur chaleur gagne les miens,
Mais sûrement qu’elle veut de ma chaleur aussi,

Qu’elle la désire.
Vouloir ma chaleur !
Mais moi, je n’ai plus de chaleur !
Mes yeux sont de grandes surfaces d’eau,
Mais moi, je ne veux plus pleurer,
Et Elise, toute calme, les regarde,

Je veux lui faire un beau sourire…
Mais rien…

Un tout simple rictus au coin des lèvres !
Mais rien…

Quelques coups discrets à la porte,
Tous, ils se tournent vers l’entrée,
Une blouse blanche qui nous sourit,
Et qui s’avance vers mon chevet,
Elise et mon ami qui questionnent,
L’infirmière qui répond, calmement,
Qui leur répond tout simplement,

Et ensuite les entraîne vers la sortie,
Mon cher ami tient à son baiser amical,
Elise tient ferme à son baiser conjugal,
Tendre, amoureux et sur mes lèvres.
La porte qui se referme derrière eux,
Ne me porte pas de coups dans la poitrine,
Je n’ai plus rien pour ressentir ces douleurs.
La porte qui se referme derrière eux,
A quelque chose de pas commode,

Puis soudain, les larmes s’allument !
-Et le noir disparaît sur le quai,
-Et même, il n’y a plus de quai du tout,
-Et même, il y a plus de gare du tout,
-Et même il y a plus de train du tout,
-Et il ne sifflera donc pas ce soir…

Le train ne m’emportera pas ce soir…

Fin 12 Oct.1993 11H Au soir Yaoundé RC