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Marguerite BERVOETS

Ballade marine II

Les dés roulaient, tanguaient sur le plancher instable,
Les vidrecomes d’or étaient tombés de table
Et les hanaps profonds se brisaient à leurs pieds,
Mêlant leur bruit de verre aux éperons d’acier.

Les gabiers transis tombaient comme fruits mûrs
Des voiles lacérées et du grand mât obscur.
Et quelques marins, fous, adjuraient le Destin :
Sur le pont du vaissseau, la mer battait son plein.

Et dans ses flancs sculptés de géantes chimères,
Dans son grand mât tronqué, la branlante galère
S’émeut, souffle et gémit comme un monstre apeuré
Et qui souffrirait seul depuis l’éternité.

Le vent fait rage en vain, son souffle s’exaspère,
A peine quelques cierges, au seuil de l’entrepont
Noyant leur feu follet sous la sourde colère
Des matelots, hagards, las du gouffre sans fond.

Le Marquis prie, rosaire aux doigts, fleur à la bouche,
Songeant plus à sa Belle qu’à son âme à sauver,
La bergère aux yeux clairs et qui était farouche
Le dernier soir où, tendre, il quêtait un baiser...

O chère Amaryllis, que je t’ai regrettée,
Cythère est si lointaine et ce Styx est profond ;
Je n’en reviendrai plus, adieu, ma bien-aimée,
Ton vert-galant est mort, noircis ton clair jupon.

Le lieutenant attend son bain d’eau de senteur,
Il lisse son jabot, assure sa perruque,
Lime ses ongles courts et porte haut la nuque,
Et la poudre de riz lui donne sa pâleur.

Les cadets insouciants à la boisson l’excitent,
Mais les barils sont vides et le jeu est trop fort
Pour son esprit plaisant, sa verve qui évite
La ripaille grossière et les plaisirs de bord.

Le navire tangue, tangue toujours plus fort,
Le matelot transi s’absorbe en durs efforts,
La tornade glapit, s’élance plus vivace,
Vers l’entrepont fermé aux cents lueurs fugaces.

Le lieutenant s’absorbe en l’or d’un livre d’heures,
Ses cheveux de frimas argentent son front fier,
Des cadenettes blondes s’ébattent comme leurre,
Les feutres emplumés jonchent le sol de fer.

La flamme du navire, flamme fleurdelysée,
Surgit à la poupe, claque au vent des nuées,
Et s’étire et se tend et se raidit en vain,
Car le lys, pour Neptune, est un sceptre de rien.

Une vague, un flot ont achevé le reste,
La nef s’anéantit dans un choc de métal,
Et bien des cavaliers n’ont plus le moindre zeste,
Et des flots de billon dansent le sombre bal.