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Marc EMILIEN

La bouteille

Passez ! Matins qui s’éveillent !
Je ne suis qu’une bouteille.

Après m’avoir bue au goulot,
Il m’a jetée, l’ostrogot,
Au fond du caniveau, pour morte,
Détritus que l’eau sale emporte.
Il ne m’a pas fait de quartier,
Il m’a jetée sans pitié
Comme si on pouvait jeter
Celle qui vous a tout donné.

Allez ! Matins qui s’éveillent !
Je ne suis qu’une bouteille.

Rien qu’à contempler sa dégaine
Je l’avais deviné en peine,
J’avais lu au fond de ses yeux
Le verbe noir des malchanceux.
J’ai pris un peu de sa souffrance,
Il m’a prise sans résistance,
Décapsulée, mise nue,
L’âme diaphane, il ma bue.

Passez ! Matins qui s’éveillent !
Je ne suis qu’une bouteille.

Il avait les paumes calleuses,
Les yeux cernés, les joues creuses,
Il n’a pas prononcé un mot,
Les mots qu’il pensait pesaient trop
Sur les épaules de sa perte.
Ouverte, je me suis offerte.
Il a puisé dans mes entrailles
Le dernier feu de ses batailles.

Passez ! Matins qui s’éveillent !
Je ne suis qu’une bouteille.

Gisant à deux pas de l’égout,
Entre indifférence et dégoût,
Je vais terminer ma carrière
Explosée, en bout de misère
Car un zig à court d’émotion
M’a prise pour médication.
Il m’a fait mal, il m’a fait peur,
Il m’a fêlée côté cœur.

Passez ! Matins qui sommeillent !
Je n’étais qu’une bouteille.