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Labigne Julien

Romans Sur Misère

Sur la devanture de ce restaurant, il n'était pourtant pas inscrit "dîner spectacle". Je ne crois pas qu'il y eût d'ailleurs un seul établissement de ce type à Romans-sur-Isère... Et quand bien-même s'eût été le cas, ma proposition aurait eu bien peu de chance de s'attirer les faveurs des programmateurs...

J'offrais en effet une bien triste représentation à mes voisins de table. Déglutissant à même le caquelon, des ravioles gratinées, je leur servais la non présence d'un homme seul, au visage morne, perdu dans ses ruminations, cherchant un sens à la vie et au bonheur. Un philosophe clownesque qui, à l'image de ses pompes, porterait des idées trop grandes pour lui. Cette allégorie me parut d'ailleurs à cet instant, très mal venue dans la ville de la chaussure...

Malheureusement, en matière de ruminations, pas d'échappatoire possible. Je passais donc mon temps à ressasser que le meilleur moyen d'être heureux c'est de ne pas ressasser...

Je serais bien passé quelques instants en cuisine, pour réclamer au chef, la recette du millefeuille déstructuré : l'art de séparer les couches, de clarifier le bouillon, de sublimer les saveurs. Le problème, c'est qu'il m'aurait sûrement demandé ce que je pensais de ses ravioles...

Un bruit attira alors mon attention, juste là, au dessus de ma tête...

Au prix d'un effort surhumain, je parvins à lever vers le ciel, ce chaudron rempli de soupe amère. Et là... Je vis... une nuée d'oiseaux, remplissant l'espace bleu. Des centaines de compagnons qui virevoltaient en vagues, au-dessus de mon plafond de verre. Une escadrille de messagers ne portant aucune missive. Leur mouvement parlait pour eux. Libres comme l'air. Ou plutôt, libres dans l'air... Le vrai spectacle était là. Étais-je le seul à en être le témoin ?

Un instant, je baissais la tête pour découvrir une forêt de regards levés vers le ciel, contemplatifs, émerveillés. Les rides avaient disparu au coin des paupières... Sur cette terrasse, on ne voyait plus que des yeux d'enfants...

Alors, les miens rejoignirent les leurs pour simplement voir ce qui était. Je découvris la beauté d'une tour ancienne. Le soleil enluminait le relief de ses pierres érodées. Sur le cadran de son horloge solaire, l'ombre de la tige en fer indiquait : maintenant.

Ma vue dansait au rythme des voltigeurs, qui allaient tous de manière saccadée, désordonnée et pleine de détours, dans la même direction : celle du vent...

Je sentis soudain un goût de romarin, de chèvre et de miel exploser dans ma bouche. Le subtil goût du vin, le simple goût du pain...

Puis les oiseaux s'en allèrent, mes voisins reprirent leurs conversations, le sourire au lèvres. Maintenant je les entendais, j'en faisais presque partie...

Après avoir félicité le chef, je repris le chemin du retour, à travers les rues paisiblement sinueuses du vieux quartier. En marchant, je sentis soudain autour de mes pieds, des chaussures à ma taille...