Ze Prose. Le Rire est le Propre de l'Homme (début)
Le rire est, dit-on, le propre de l'homme ;
Il est des rires savants, des rires intelligents,
Et il est des rires gras, stupides et bestiaux.
Or, il est un fait établi, un trait indéniable :
On se délecte spontanément du malheur des autres.
L'humain est profondément méchant
Et il n'y a que les bigotes pour croire à sa bonté,
Avec l'ami Rousseau, rêvant du bon sauvage ;
Non, croyez-le bien : l'humain est féroce.
Il n'est qu'à voir ce peuple, remuant, frétillant,
Comme de noires murènes,
Qui irrite sa gorge, qui racle son gosier
Et, dans de violents spasmes, distille un fiel amer,
L'exquise liqueur extraite du fond de la bêtise.
Il se tiendra les côtes et, les yeux larmoyants,
Toussera, gloussera, gémira,
Tel un démon dément.
Dans les enterrements, on entend s'étouffer
Des fous rires naissants, qu'on voudrait réprimer ;
En vain.
Un ballon qui explose dans les mains d'un enfant,
Un passant trébuchant sur un trottoir humide,
La quelconque coquette éclaboussée soudain
Par la voiture aveugle éclatant, sans détours,
Le reflet dans la flaque,
Projetant une eau trouble sur la toilette nette,
Longuement étudiée.
Tout cela nous fait rire,
à la terrasse d'un café, ou dans l'ennui d'un balcon,
Par un rictus cruel qui découvre nos dents,
Une grimace affreuse qui allume en nos yeux
Le Mal ensommeillé
Qui brille des mille feux de la stupidité.
Bien sûr, il nous arrive de rire du bonheur des autres ;
Mais, c'est une risette, ou un sourire forcé,
De ces masques tout faits pour les photos fanées,
Comme un oiseau trop lourd ne pouvant s'envoler.
Le bonheur ne prête jamais à rire,
Sauf si, en un songe sournois,
On l'entrevoit qui se brise comme un vase chinois,
Au gré d'un vent mauvais, et qu'on sente, soudain,
L'équilibre éphémère de la joie de l'instant.
