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Jean-Pierre LASTRAJOLI

Les Chroniques d'Impelyon. 12. Tristesse du ménestrier

“- Imagines-tu un instant la souffrance
De cette jeune fille dont le père viens, souvent,
Perturber le sommeil salvateur,
Au son des pleurs de son inconsolation ?
Sur l’îlot triste, qui divise le cours d’eau,
Est son tombeau vide,
Car son corps fût emporté par les flots bouillonnants
Et se prit en aval,
Dans les racines immergées d’un arbre sigillaire,
Sarcophage végétal des noyés.

Celui qui a fréquenté Ough,
Aux temps bénis où il cueillait
Dans les vergers les fruits sauvages et les fleurs vierges,
à présent ne reconnaît plus le roi des ménestriers,
Dont la mandore chantait, hier encore,
Insouciance et plaisirs du corps.
Sa musique s’est tue, tel un cours d’eau tari,
Et, quand il pince les cordes, en sortent des gémissements,
Ballade amère des astres noirs,
Aux sons graves et monocordes,
Accompagnant les mots dont la souffrance
A transformé le sens.

Nul prince ne veut plus troubler
Ses festivités provinciales
Par les tristes accords de sa mandore ;
Nul seigneur, (digne de ce nom),
N’invitera en sa demeure
L’ambassadeur maussade du malheur.

Seul, le peuple des ruelles interdites croit reconnaître,
Dans ses pleurs, l’écho mélancolique de sa propre douleur.
Dans l’ombre, se ressemblent les chagrins
Et ils portent sur leurs ailes leurs parfums,
Se mélangeant, pour n’en faire qu’un seul,
Qu’on suppose faussement le sien.
Aucune misère n’est semblable à une autre,
Et une cause produira mille effets.
Lui, vois-tu, pleure la jeune enfant
Qui lui demandait de chanter une berceuse,
Ou qu’il consolait d’une aubade,
L’enfant qui jouait, chiffonnant ses partitions,
Dès qu’elle en avait l’occasion,
Et non pas la femme par l’eau froide emportée.

Le souvenir est notre maître et il tamise le passé,
Nous faisant oublier les égards dus au grand sommeil.”