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Jean-Pierre LASTRAJOLI

Les Chroniques d'Impelyon. 07. Complainte de sire Sorrand

“Vous voyez cette lueur rose, au milieu du couvert végétal ?
J’ai pu en voir la cause, à six journées de marche,
Par la chaussée antique,
Engloutie par les racines des forêts sempervirentes ;
Une curieuse demeure, en ce lieu,
Couverte d’une roche polie, d’un rose si délicat
Qu’on croirait un mirage,
Réfléchit la lumière sur ses multiples facettes.
Son éclat limpide caresse les eaux calmes
De la rivière des mille méandres,
Dont on ne sait ni d’où elle vient,
Ni comment elle se perd.
Sur les murs semblant lisses, un bas-relief
Représente des roses ouvrant leur ventre chaud,
Tel un symbole mystérieux, répété à l’envi.
Ce qui paraissait un palais,
En réalité, s’avère un mausolée :
Le hasard m’a fait surprendre
La rituelle visite d’un vieillard décharné,
Traînant ses os meurtris et sa peine.
Avant même d’entrer, il commence à parler :

“- Tu vois, jeune paresseuse,
Toi qui te plaisais dans la douce insouciance
Des draps chauds sur ta peau,
Ces mains tissées de caresses : je porte les stigmates
D’une vieillesse incurable et tenace, tandis que toi
Tu gis, drapée de ta jeunesse,
Dans l’antre sombre d’un éternel sommeil.
Chaque jour, je pleure sur ta dernière demeure
Et j’y dépose nos roses pour parfumer ton repos ;
Ces mêmes roses que nous cueillions à la belle saison,
Alors que déjà je songeais jalousement aux bras
Qui serreraient ton corps, après ma mort.
Tu es partie et moi je reste,
Vieille carne sur qui la vie s’acharne,
Telle la mauvaise herbe que jamais on ne chasse.
Depuis longtemps, un second tombeau, où j’ai gravé mon nom,
Attend de porter dans son ventre froid,
Un époux éploré, le désolé Sorrand.”.

Je m’éloignais,
Ayant le sentiment de pénétrer l’intimité d’un couple,
Témoin involontaire d’un douloureux discours,
Alors que résonnaient, dans le mausolée,
Les échos amplifiés de ce long monologue. »