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Jean-Pierre LASTRAJOLI

Les Chroniques d'Impelyon. 06. Les rêves éveillés de Velte

Au sommet d’un mont granitique,
émergeant de l’immense océan de verdure,
L’immuable cité de Chassuanama étale son mystère,
Ceinte de remparts cyclopéens,
Ultime vestige d’un peuple disparu.
Du palais d’Argobal,
J’ai longuement pu l’étudier à la lunette,
Mais il n’est pas possible d’apprécier
La démesure du lieu : les énormes blocs rocheux des murs
Semblent avoir été soigneusement assemblés
Par des géants d’une autre époque, d’un autre monde.
Je déambule, abasourdi, dans les rues pavées,
De la ville déserte, où seul le vent des cimes invincibles,
Par son sifflement tourbillonnant dans les ruines,
Rompt le silence indescriptible d’une vie évanouie.

“- Quel panorama éblouissant, ne trouvez-vous pas ?
Et combien nous paraissons petits !”.
Un maigre et pâle jeune homme, âgé de trente années,
Les yeux cernés, les traits tirés par l’insomnie,
Discute d’un ton courtois, interrompu, sans cesse,
Par une toux tracassière.

“- L’air des cimes est meilleur pour ma maladie ;
Du moins, c’est ce qu’on m’a dit !”.
Il tousse à nouveau. (Je ne ferai pas
L’inventaire mesquin de ses quintes agaçantes).
“- C’est le seul souvenir, hélas, ramené de mes voyages :
Un souvenir qui m’accompagnera au tombeau.”.
Le jour agonisant, dans le râle des rapaces
Qui caressent les cieux de leur bec acéré,
D’une hémorragie ensanglante
L’ouate appliquée sur la peau azurée.
Comme un noyé qu’avale la ronde gourmande des bulles,
Un ultime rayon agite en vain la main,
Sur les monts du couchant ;
Mais Velte, impassible, fixe les contrées chaudes,
Liqueur miracle au parfum d’aventure.

“- Savez-vous que sur le continent Asturiale,
à présent se lève le jour,
Et qu’à l’inverse de notre monde, commence la haute saison,
Aux journées longues et lumineuses ?
Ici, la pâleur et le froid, là-bas, la chaleur et l’éclat :
Les destins sont souvent injustement dissemblables.
En ce moment, les bergers des plateaux,
Au teint sombre et hâlé tel un roc basaltique,
Sortent leur troupeau des étables fumantes.
Ce sont des grands gaillards,
Solides et résistants, d’une santé incurable,
Sur qui le vent se brise comme sur la muraille.
Des femmes énergiques s’affairent à leurs tâches,
Et les seuls malades guérissent,
Dans un lit de terre grasse
Où j’aurais dû faire le mien.”