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Jean-Pierre LASTRAJOLI

La Croisière de l'Oubli. 19. Arraché aux griffes de Seth

J’ai erré dans la grande salle hypostyle de Karnak,
Promenant mon désenchantement admiratif
à l’ombre des colonnes monumentales,
Gravées de reliefs et de hiéroglyphes,
Insondables pour moi, comme ma peine.
J’allais, avili par mon humanité,
Dans la demeure d’un dieu, nain parmi les nains,
écrasé par les exploits d’un peuple de géants.

L’air chaud du désert, mortellement rouge,
Aride comme mon âme,
Faisait perler à mon front une sueur malsaine.
Non loin de là, coule le fleuve immense,
Serpent vert, éternelle source de vie.

Mon regard, pourtant, ne se porte
Que vers les champs mortels de Seth,
Où expire le soleil.
Comment songer à la vie, tandis qu’on arpente
Les temples d’une civilisation disparue,
Dont les plus belles œuvres
Sont extraites quotidiennement de leur gangue de sable ?

Les Européens, pour la plupart, arrivent et admirent
Ces merveilles, ces temples démesurés
Et ces statues colossales,
Se sentant héritiers d’une civilisation antique disparue,
Et méprisant les fellahs qui peinent dans leur quotidien.
Ces beaux messieurs en costume blanc
Et ces belles dames en robe élégante
Ne sont que des vampires.
Ils ont pillé un héritage grec
Qui, lui-même, doit énormément à l’Egypte.

Les paysans égyptiens d’aujourd’hui
Ressemblent à ceux des fresques,
Comme les outils, les animaux,
Et il est comique de voir qu’on admire chez les anciens,
Ce que l’on méprise chez les successeurs.
Une certaine dame apprécie chez un autre,
Ce qui chez moi lui apparaît fade.

Qui viendra m’extirper des sables brûlants
Et montrer ma splendeur ?