Deux vieillards marocains rient du temps qui passe, Un temps qui les oublie. Dans l'odeur thé à la menthe, Ils revendiquent l'immobilité. Demain, comme toujours, ils seront là, Sur le bord du torrent des jours, Tout en méprisant son cours frénétique.
J’espérais que nous passerions par Carthage, Mais nous ferons route, demain, Vers Agrigente et la Sicile. Tant pis pour l’antique cité Qui voulut rivaliser avec Rome. Elle avait exploré l’Atlantique, En redescendant les côtes de l’Afrique Et en remontant jusqu’en Bretagne, Ce que n’osèrent pas faire les Grecs.
Elle se dota d’une armée et ce fut bien son tort. Elle aurait dû avoir la sagesse de ces deux vieillards Qui ont su rester à l’ombre et se faire oublier du temps. Toujours on cherche à avoir plus Et on perd le peu que l’on possédait, Avant de se rendre enfin compte, mais trop tard, Que l’on avait déjà tout ce qui importait.
Dieu me donne la chance de savoir m’asseoir un jour, Dans l’ombre protectrice d’un portail, Et de rire avec un ami, S’il m’en reste encore un, Et d’évoquer un passé qui me fera sourire Et non plus regretter.
J’ai rejoint le bateau, En admirant la sagesse de ces deux hommes, Songeant que j’avais aurefois des amis, Disparus dans le torrent du quotidien. Sans doute, ont-ils l'illusion d'aller vers Shangri-La, Alors qu'ils l'ont quittée.
Pas un ne reste. De sorte que ces deux vieillards Sont bien plus riches que moi.