La Croisière de l'Oubli. 12. Les jardins de Boabdil
Avez-vous vu, sur l’Alhambra, Le soleil se coucher Et jouer, rougeoyant, sur les murs du château, Comme sur les facettes d’un joyau ? Les palais et jardins des Nasrides Font durer le plaisir d’un jour depuis sept siècles : On y entre, ainsi qu’en un conte de fées, Au milieu du chant des oiseaux Et du bruissement des eaux. La lumière du crépuscule fait des arpèges, En cet endroit de fantaisie et de complexité.
J’ai fait le voyage exprès Pour voir cette merveille que l’on m’avait décrite Et je me suis plus senti en Afrique qu’en Europe. Je me suis imaginé souverain, en ce lieu, Ayant ce spectacle enchanteur sous les yeux, Jour après jour, Sans parvenir à m’en lasser. J’ai senti quels étaient Les lieux fréquentés de préférence le matin, Et ceux que favorisaient la fraîcheur du soir. Je me suis tant imprégné des décors Que j’éprouvai soudain l’étange sensation De les avoir toujours connus.
Comme je plains le roi Boabdil D’avoir, en ces lieux, passé sa jeunesse, Et, par la suite, d’avoir dû fuir Grenade, Pour porter en son cœur son souvenir, Tel un deuil, un supplice. Dernier souverain Nasride d’Espagne, Tu pouvais pleurer, en quittant ton palais.
Malgré la pâle flamme d’un illusoire espoir, Je sais qu’il est des pertes irrémédiables, à vous glacer les os, Et tous les soleils d’Espagne et d’Italie N’y pourront jamais rien changer.