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Jean-Pierre LASTRAJOLI

La Croisière de l'Oubli. 11. Le lieutenant d'Almeria

Dans les rues bruyantes et étroites,
à quelques mètres de moi,
Un homme tire un âne qui porte des paniers pleins ;
Les murs beiges renvoient la lumière,
Les pavés sont brûlants.
Je rôtis lentement.

Dans l’ombre d’un portail,
Assis sur des chaises en osier,
Deux vieillards discutent en agitant les mains :
Ils rient sans doute des étrangers
à la délicate chair rose,
Promenant leurs costumes d’été et leurs chapeaux blancs,
En suant, en soufflant, et en s’épongeant le front
Avec un mouchoir brodé à leurs initiales.

Je passe devant la maison
D’un ancien lieutenant d’infanterie qui, m’a-t-on dit,
N’est plus sorti de chez lui depuis cinq ans au moins.
Quand les voisins demandent à ses gens de maison
Ce qu’a leur maître,
Ils répondent qu’il a voué sa vie à la méditation
Et au recueillement.

Sur la place, autour de la fontaine,
Certains disent qu’il a ramené d’Amérique du Sud
Une horrible maladie qui lui ronge les chairs du visage.
Pour le laitier, il craint une vengeance d’une secte
Que son régiment a massacrée ;
D’autres affirment qu’il a perdu la raison,
Après qu’une belle argentine ait rompu leurs fiançailles,
S’adonnant sans mesure aux drogues indiennes.

On peut l’entendre jouer du piano en été,
à travers les jalousies protectrices
- nocturne de Chopin - ;
Il ne sort qu’après le repas du soir,
Dans son orangeraie,
Afin de fumer un cigare dans l’allée abritée.
Mais, il est si loin, et il fait si sombre,
Qu’on ne peut savoir, même en grimpant
Sur les hauts murs entourant la propriété.

Le parfum enivrant des mystères
Est l’aiguillon suprême contre l’ennui
Des jours sans charmes.