La Croisière de l'Oubli. 10. La savane désenchantée
Tous les galants gazouillis des souïmangas, Tout l’éclatant métal des flancs du Katanga Ne sauraient altérer le désenchantement De l’Administrateur des Colonies. Tous les safaris du Tanganyika Peuvent chasser l’éléphant, le lion, Mais pas l’ennui. Pas lui.
A quoi se raccrocher : à la petite tombe ? La croix blanche est plantée dans le jardin abandonné, Derrière la maison de fonction. Madame s’adonne à l’alcool Et aux mœurs dépravées de ces micro-sociétés déphasées. Monsieur oublie de rentrer dans ce lieu sans âme, Vide de vie, où le souvenir est un lancinant sanglot, Et il trouve sur la couche d’une femme noire, Un trop bref instant de joie ; Puis, il pleure sur sa peau d’ébène. Elle le console comme une mère Et caresse son corps frêle et rose.
Tous les feux mourants peuvent ensanglanter la savane, Tandis que les troupeaux craintifs s’abreuvent Au point d’eau, et que dans les hautes herbes sèches Attendent les lionnes. Les buffles et les zèbres sentent, Dans l’air inquiet, l’imminence du danger. Mais ce spectacle n’est qu’un brouet horrible, Depuis ces fièvres funestes.
Parfois, au cours d’une chasse au lion, L’envie lui prend soudain de n’être pas le plus fort. Le courage lui manque pourtant, et il rejoint toujours Sa brune maîtresse et ses caresses, Tandis qu’il songe à la petite tombe Et la croix qui pourrit, Comme un corps en terre grasse.
C’est pour ça qu’on le croise, Les yeux dans l’ombre de son casque, Perdus dans la contemplation des horizons lointains, Où ondoient les vapeurs du passé, Tandis qu’il répond négligemment à un salut respectueux et veule.
Tous les trésors des décors africains ne peuvent rien Contre la désenvie de l’Administrateur des Colonies, Qui va reprendre son poste.