Les images d'un film semences de mémoires Font germer de l'oubli du limon de l'histoire Des gestes d'un passé englouti par le temps Coulée basaltique scellée depuis trente ans
Le maître d'école prenait dans le placard Un placard gris-bleu au ton terne et blafard Une poudre bizarre ou alors un liquide Qu'il versait tout au fond d'une bouteille vide
Puis il la remplissait d'une eau limpide et pure Et une encre bleue nuit livrait sa flamme obscure Que sont-ils devenus tous ces blancs encriers Céramique si douce et caresse oubliée
Dans le trou du pupitre à peau de bois rugueuse On les glissait tremblant d'une peur religieuse Calée au fond d'un creux la gomme rose et bleue Côtoyait des objets aux noms souvent curieux
Le crayon H2B le porte-plume en bois Plumes sergent-major bout de métal sournois Retenant trop peu d'encre ou alors beaucoup trop S'accrochant au papier lâchant soudain son flot
Et faisant sur la page un merveilleux pâté Que le papier buvard à la peau tachetée D'un coin immaculé avalait goulûment Nous avions fabriqué ou du moins les mamans
Quelques marionnettes et je pris l'écritoire Pour le clown la danseuse j'écrivis une histoire Certains firent la scène d'autres les décors Ou mirent une âme dans des corps encor morts
Hélas Je n'ai pas vu la représentation La grippe m'enleva cette satisfaction Dans ce flot bouillonnant les images se mêlent Et dans ce désordre soudain je me rappelle
Tout comme les autres j'attendais impatient Qu'arrive vendredi et ces mots enivrants Bon il est quatre heures Nous rangions nos cahiers Fermions nos cartables et restions bras croisés
Le maître nous lisait La Guerre des Boutons Et alors avalé par l'imagination La salle de classe s'évaporait soudain Nous étions transportés les armes à la main
Près de Tigibus dont la Franche Comté Se vêtait de maquis par notre volonté Dans la sombre forêt marchant au clair de lune Avec l'épée en bois pour unique costume
Voilà ce que me dit le flot de souvenirs Sans trop les déformer et sans trop me mentir Car le temps ne retient que ce qui lui a plu Ecartant sans remords les chagrins superflus