Fables. Le Héron et le Têtard
Un jour, un héron blanc, sur le bord d’un étang,
Allait nonchalamment, tout en se dandidant.
Près des eaux salines ses pas l’avaient mené.
Le soleil brillait haut : quelle belle journée !
Il avait le bec vif, un fort bon appétit,
Avalant goulûment le gros et le petit,
Escargots et poissons, têtards et moucherons,
Si bien qu’il en avait le ventre plus que rond.
Soudain, en son long bec, il attrapa tout vert
Un grenouilleau tremblant tel un singe en hiver.
Il l’aurait avalé, s’il n’avait argumenté,
Comme un de ces plaideurs, un conteur patenté.
« Messire le Héron, avant de m’avaler,
Songez que je ne puis nullement vous caler
L’estomac plus que plein, sans vouloir vous vanter.
N’étant pas parvenu à ma mâturité,
Vous n’auriez nul profit à ainsi m’engloutir.
Vous me retrouverez dodu dans l’avenir.
De plus, je vais pondre de beaux œufs par milliers.
A me manger sans faim, l’avenir vous spoliez.
Demain, qui peut savoir si ma progéniture
Ne peut vous faire défaut, en des heures plus dures.
Combien de jeunes ducs dépensent sans compter
Les biens que leurs anciens ont pu leur apporter :
On les retrouve un jour, chassés d’une masure,
Pour n’avoir jamais su montrer de la mesure.
Messire le Héron, je suis votre partage,
Et la Nature est votre précieux héritage ;
Allez-vous follement dilapider ce bien
Et devoir ensuite vous contenter de riens ?
Or, de petits gestes peuvent tout transformer :
Ce n’est pas se priver si l’on n’est affamé. »
Le héron blanc sourit, car son ventre était plein
Et donc à l’indulgence il se trouvait enclin.
La morale de ce conte est qu’il n’est pas vain
De plaider sa cause, même au bord du ravin.
Si vous devez plaider, choisissez cependant
Qu’un repas soit fini : pas avant ou pendant.
L’échec est assuré à l’homme résigné ;
Cette courte fable vous l’aura enseigné.
Une autre leçon peut être tirée de ça :
Lorsque nos tout-puissants qui règnent ici-bas
Songent à protéger notre Mère Nature,
Après l’avoir soumise à toutes les tortures,
C’est que le gain présent à l’appétit suffit,
Et que ce bref répit est un futur profit.
