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Jean-Pierre LASTRAJOLI

Fables. Le Bourdon et la Ruche

C’est en une ruche, bourdonnante et prospère,
Qu’un vieux clerc besogneux, mandaté comme expert
Du sous-ministère d’un pouvoir fort lointain,
Faisait son important, se montrant importun.
A chaque travailleur, il posait des questions,
Notant chaque phase de la bonne gestion.
Toutes les abeilles étaient très irritées
De voir un vieux bourdon aller et s’agiter,
Les empêchant d’œuvrer au savoir mellifère
Intervenant sans cesse, et nuisant aux affaires.
Le rond-de-cire émit un très épais rapport,
Assurément savant, au tout premier abord,
Truffé de diagrammes, de ratios indigestes.
Le clerc de l’alvéole avait listé leurs gestes,
Et pondu un dossier propre à vous assommer,
Ouvrant en grand les portes de la Renommée.
Le scribe édictait un code des procédures,
Sorte de sainte Bible de l’apiculture,
Où il améliorait la rentabilité,
Chassant la tradition pour la modernité.
Les abeilles émues, à la base soumises,
Suivirent ces idées, qui semblaient des bêtises.
Dès lors, elles devaient lire des documents,
De grands formulaires, chercher continûment
Dans leur nouveau missel ce qu’on savait, avant.
Elles perdaient du temps, dans ce livre savant.
Or, le temps c’est du miel, comme on dit à Wall Triste.
Un économiste, puis un grand juriste,
Jugèrent les chiffres mauvais pour l’entreprise :
La production baissait, générant une crise.
« Sans le plan mis en place, on pressent le danger
Qui guettait la ruche ! », dit le clerc louangé.
On embaucha des clercs afin d’optimiser
Tous les coûts de la ruche et d’économiser.
Il fallut licencier en vue de compresser
Les surcoûts dus aux clercs, les salaires baisser.
Malgré les nouvelles mesures engagées,
De la triste spirale on ne put se dégager.
La ruche a aujourd’hui fermé ses alvéoles ;
Le clerc au rapport, paré de son auréole,
Dirige une ruche, plus belle et imposante,
Où il applique ses méthodes innovantes.
Les abeilles ont perdu leur ancien emploi :
Mais chacun connaît du marché la dure loi.
Moralité : si vous êtes bien dans un coin,
Veillez bien à ne pas vous créer des besoins.
Restez donc lovés dans votre calme olympien
Et sachez que le mieux est l’ennemi du bien.
Si vous avez besoin d’un quelconque ingénieur,
N’en prenez jamais un qui soit de l’extérieur.
Ceux-là, tel Attila, sèment deuil où ils passent :
Sur leur chemin, hélas, les usines trépassent.