Vos
poèmes

Poésie Française : 1 er site français de poésie

Vos<br>poemes
Offrir
ce poème

Jean-Michel BOLLET

Vivre

Le matin s’est levé, je vais, sans me presser,
Sur le sentier bordé de ronces, de prunelles,
De buissons en fouillis que j’aime caresser
Devant des agneaux blancs et de blanches agnelles.

Je suis enveloppé d’air frais et de lumière,
Libre de mon blouson, cette accorte prison,
Accroché dans mon dos de façon cavalière
Et mon buste est tendu sur le trait d’horizon.

La pleine forme est là dans mon corps en état…
J’entre dans un verger : des pommes sont à terre,
Rouges, jaunes, tachées, éparpillées, en tas
Dont l’une est adorée par un ver solitaire.

Une clôture se mure à mon aventure :
Retors à l’ouverture, un barbelé consent
A se laisser lever avant sa signature :
Une griffure en vue de m’aérer le sang.

Un champ m’accueille après avoir vaporisé
Ses herbes de rosée ; je porte aux pieds les bottes
De cuir que mon père âgé m’a autorisé
A n’enfiler que quand le ciel « est à la flotte »

Voici une bicoque de bric et de broc
Gardée par un chien roux tenu par une corde
Qui m’aboie avec sa gueule pleine de crocs,
Babines retroussées, mon dieu, miséricorde !

A vive allure, je m’enfuis de la pâture
En reprenant mon souffle et ma sérénité
Sur un chemin blond qui partage la nature
De deux haies de lauriers pleines d’aménité.

Marcher tout à travers avec un chant aux lèvres…
Je longe la rivière, entame un raidillon
Qui fait danser mon cœur et me donne des fièvres
Jusqu’à la grâce de la contemplation :

Une excroissance où des verts dansent en changeant
Dans une chevelure rousse qui ruisselle
Sur la vallée où une rivière d’argent
Reçoit un fil de pêche atteint d’une étincelle

Observé par les yeux perçants d’un charognard,
Un vautour planant de toute son envergure,
Qui surveille, ahuri, un noueux montagnard
Grimpant le flanc abrupt, tout rouge de figure.

Je me lève et repars, guidé par le hasard
Et des sapins géants pénètre le domaine,
Serrés à la romaine et quasi dans le noir
En formant un rempart contre la race humaine.

Je sors à pas de loup pour ne pas déranger…
Quelle étrangeté d’être aimé par une pie,
Une pive esseulée, un pinson en danger
Et le renard rusé, embusqué, qui m’épie…

Quelle luxueuse fierté de posséder
Le fabuleux trésor qui appartient à l’être
Sachant s’émerveiller avant de décéder
Bercé par la brise dans les feuilles du hêtre.

Ah ! Mourir accroupi, debout, assis, couché,
Coupé par les herbes aiguisées et la bise,
Sans que mon cœur glacé se sente effarouché
Par les lames d’acier lacérant ma chemise.

Depuis longtemps déjà l’homme libre respire
L’odeur du cœur des fleurs, d’un châtaignier mouillé ;
Pour atteindre les monts, l’homme libre transpire
Puis écarte les bras, en croix, agenouillé.

J’ouvre mes oreilles, mes yeux, mon nez, ma bouche
Jamais rassasiés de ce cadeau royal
Accordé par la Vie, qui dès l’aurore, accouche
D’un artiste accompli unique et génial.