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Jean-Michel BOLLET

Son compte de vie

Aura-t-il eu son compte de vie
Le grand enfant qui meurt ce matin ?
Fut-il sujet d’un conte où la vie
Se rêve dans des draps de satin ?

Il est midi ; sonnent ses douze ans ;
Il songe à la cène et aux apôtres
Qui entourent Jésus le tarzan
Rompant des mains quatre pains d’épeautre.

Avec un sens aigu du partage,
Il distribue ces tranches de rien
Sans préférence et sans avantage
Sans négliger le pire vaurien.

Unies, croûte et mie vont apporter
A tous plaisir et joie d’être ensemble
Dans le souci de se comporter
Comme celui à qui on ressemble.

Prenez, mangez, je vous verse à boire
La vie de ma cave emplie de vin,
Dit Jésus, je vous prie de me croire :
Est levain ce breuvage divin.

Et cet enfant mourant rêve à ceux
Qui ont eu ce bonheur ineffable
D’entourer un futur dieu osseux
Qui fera la légende (ou) la fable.

L’enfant aura de la nourriture
Et quittera la table sans faim
En se disant que la pourriture,
Seule, attaquait le gras du défunt.

Dans ses draps gris de serge et de lin,
Il rêve à son père et à sa mère
Qui, trop tôt, l’ont laissé orphelin
Après une jeunesse éphémère.

Elevé par une tante indigne,
Il a vécu en rongeant son frein
Tout en buvant le jus de la vigne
Jusqu’à ce que soit trop plein son rein

Qu’il soulageait, la nuit, dans son lit
Après une putride visite
De la furie qui l’avait sali
De sa morgue et de son parasite.

Contaminé, gâté de gangrène,
Il implore le ciel : « hé, mon dieu,
Donne-moi des amis, une reine,
Un roi aimant pour l’ultime adieu.

Je souffre dans mon cœur, dans ma chair !
Si ton Fils a subi la torture,
Tu serres dans tes bras l’être cher,
Moi, je meurs sous une couverture. »

Je connais le bon vin, le bon pain,
Mais, je ne sais rien de la tendresse
Que réclame un coquin galopin
Affamé de baiser, de caresse.

Dis, doux Jésus, toi qui es squelette
Voudrais-tu qu’on fasse un grand festin
De côtelette et de tartelette
Afin de plaire à notre intestin ?

Je blasphème et j’aurai ton pardon ;
Le gueuleton n’est pas dans le ventre
Mais bien dans le partage et le don
Et quand sort l’un des deux l’autre rentre.

Dans un moment, je monte te voir,
Le temps que je fasse ma valise
Qui contiendra (ça va t’émouvoir)
Le Cri de joie qui m’immortalise.

Voilà, c’est toi, en vie, pour me plaire !
Ton corps, d’accord, est mort mais joyeux
Et un éclair sur ton front éclaire
Tes yeux de feu, tes cheveux soyeux.

En peu de temps, j’ai pris un repas
Qui m’a nourri le long de ma route
Car près de toi, je vis mon trépas
Mieux qu’en mangeant du pain mie et croûte.