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Jean-Michel BOLLET

Soixante ans

J’accueillis cette nuit, mes maudits soixante ans
Et les festivités se sont très bien passées ;
Je redoutais l’ennui d’affronter, soit sans temps,
Soit sans trop me presser, les âmes trépassées.

Je craignais d’avoir peur, mettez-vous à ma place :
Pas à celle du mort, je vous entends blêmir
Mais à celle de ma gueule face à la glace
Produisant l’effort de ne surtout pas gémir.

Déjà, la veille au soir, je n’avais rien mangé ;
J’étais nerveux, fébrile, agité, imbuvable ;
Comment réagirais-je à la vue du danger
Qui avançait, buté, méthodique, implacable ?

Et dès l’après-midi, s’approchait le grand soir,
Le grand basculement, le grand saut de la puce ;
Un six et un zéro, je voyais rouge et noir ;
Pouvais-je être un héros ? Il fallait une astuce

Pour contourner l’obstacle et éviter l’horreur ;
Noircir mes cheveux blancs ? Et ma ride frontale ?
Je dois veiller à ne pas commettre l’erreur
De rester allongé droit à l’horizontale… »

Minuit pointe son nez, je reste concentré
Et je sens que mon cœur, en colère, accélère :
Quand six coups ont sonné, je refuse d’entrer
Dans cette ultime année qui m’envoie en galère.

Mais, le douzième arrive avec la délivrance :
Voilà, j’ai accouché ! les soixante ans sont nés
Sans besoin d’un bon bain, sans moisi et sans rance
Quand, soudain, j’entends le téléphone sonner ;

La vie carillonne à mon organe auditif :
« Joyeux anniversaire et mon vœu très sincère. »
Ce Saint Cère adoré, à l’esprit positif
Espère qu’ensemble on ouvrira un Sancerre.

J’ose un coin de miroir et – ouf - je me rassure :
Pas de dent déchaussée, pas une ride en plus,
Mais, tous mes cheveux blancs pour cacher ma tonsure
Et sous le menton rond deux points noirs superflus.

Après avoir passé le céhapé de l’âge
Avancé mes amis m’ont tous félicité :
Non, tu n’as pas changé (Julio connaît l’adage)
Et tu parais avoir vu la fée Licité.