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Jean-Michel BOLLET

Mon vieux fauteuil

Mes bras sont aussi longs que les bras du fauteuil
Qui a été créé bien avant ma naissance ;
Il était déjà là quand entrait le bouvreuil
Dans ma chambre blanche où l’on faisait connaissance

Mais il s’envolait vite : il n’aimait pas s’asseoir
Et le vent l’embecquait sans que son corps se pose
Sur un fil électrique et j’attendais le soir
Pour qu’il revienne voir comment je me repose.

Il se lassait de moi – parfois un mois entier
Et réapparaissait dans un doux froufrou d’ailes
Avant de repartir en suivant le sentier
Qui longe la maison des frêles hirondelles.

Ce matin, le séant et les bras du fauteuil
M’ont accueilli avec la même bonhomie
Quand mes bras ont senti un petit écureuil
Venu tester de nous la bonne ergonomie.

Ce joli raton roux plus que mon cheveu blond
Orgueilleux de sa queue longue en panache douce
Pesant moins qu’une plume et qu’un fil de nylon
Tente avec ses dents de me grignoter le pouce.

Il me regarde, je ne bouge pas et hop !
Le voici qui bondit et passe la fenêtre,
Atterrit sur la rue, les voitures au stop
Le laissent filer vers la forêt qu’il pénètre.

C’est un midi que le miracle se produit :
Ecureuil et bouvreuil investissent ma chambre
Au moment où maman gentiment s’introduit
En tenant un encens faisant fumer son ambre

Pour purifier (comme à l’accoutumée) l’air
Et en voyant les deux garnements sur ma cuisse
Se faire caresser, sa langue en un éclair
Lance : lequel des deux, dis, veux-tu qu’il jouisse !

Mais, maman est âgée de près de nonante ans
Presqu’autant de temps qu’elle est restée dans ce siège
Avant moi et sourit ma bouche quand j’entends
Son souci de vouloir me prendre dans son piège…

Je ne sais pas ce qu’en pense mon vieux fauteuil
Qui en a vu d’autres depuis belle lurette ;
Me dira-t-il qu’il s’est assis sous un chevreuil
Quand je l’ai quitté pour un baiser de Laurette ?

Tout son corps peut s’offrir encore a bien des corps
Même si grincent dos, pieds, jambes, bras, sa fesse ;
Il se pense maître fidèle du décor
Quand il sent que sur mon cou ma tête s’affaisse.

Ton tissu rouge vif a pâli, mon fauteuil
Et tes fibres usées montrent ton rembourrage
Mais te vêtiras-tu de mes habits de deuil
Puisqu’a fini ma vie de coudre son ouvrage ?