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Jean-Michel BOLLET

Mes doigts coquins

Je compte et recompte : ils sont tous là bien présents :
J’avais peur d’en avoir oublié un en route !
Non, le majeur se voit, l’index n’est pas absent ;
Les autres, je les sens : je peux casser la croûte…

Ce matin, je m’essaie à bien les occuper
Parce qu’ils se glissent souvent au fond des poches…
Ils pensent, que, distrait, je n’ai pas remarqué
Leur chemin buissonnier emprunté : qu’ils sont moches !

Je les ai recensés, maintenant je vais faire
Assez pour confier à chacun un travail
Qu’il accomplira sans demeurer solitaire,
Mais solidaire tels les poils sur le poitrail ;

Le pouce esseulé, quelle est son utilité
A part être sucé ? Tiens, j’ose, je le presse
Sur mon bouton de front dont la futilité
Aura besoin plus tard, d’alcool et de compresse ;

L’index, le plus souvent, se rend dans la narine
Mais, avec le premier, je pourrais comprimer
Le téton brun du sein qui rosit la Carine
Au manque de soutien qui la fait déprimer ;

Le majeur est farceur, un peu provocateur
Quand en haut il se tend, se secoue et s’agite
Pour rendre un honneur à un prévaricateur
Qui serait meilleur s’il demeurait dans son gîte.

L’annulaire est discret, même un peu effacé
Car sa lourde tâche est de prendre en mariage
L’anneau d’or confié qui en lui est scellé
Et l’aura étranglé jusqu’à son dernier âge.

L’auriculaire a la joie d’aller dans l’oreille,
(Contesté âprement par l’index touche-à-tout)
Mais, à l’heure du thé : la classe ! Il émerveille :
Raide et droit comme la queue d’un heureux matou ;

Je comprends le pouvoir de ces dix garnements :
Ils sont mes saints patrons ; Je ne peux rien en faire :
J’ai rusé et joué de mes bons sentiments
Mais, leur devoir est de vouloir se satisfaire.

S’ils m’avaient été doux, gracieux et habiles,
J’aurais pu façonner, modeler, caresser ;
Si moi-même j’avais pu les rendre mobiles
Auraient-ils eu le cœur enclin à paresser ?

S’ils avaient un trou eu où entre la lumière
Aux bouts d’eux, j’aurais pu me guider dans le noir
Car mes yeux ne sont pas de jeunesse première
Et les beautés sont là qu’ils ne peuvent pas voir.

Mais, je les aime assez pour ce qu’ils veulent faire.
D’hier à maintenant ils votent liberté
Et les coquins flairent la même belle affaire
Que moi sans attenter jamais à leur fierté.