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Jean-Michel BOLLET

Le lieu pourri des morts

Je m’en reviens, céans, du lieu pourri des morts
Qui ne connut jamais d’époque grandiose,
Revêche aux cardinaux attachés à leur port
Par l’ancre au maillon fort, pour leur apothéose.

Ils sont cloîtrés derrière un îlot de guirlandes
De chairs rances, d’os longs, de viandes en paquets
Côtoyant les ombres des pins sans fin des Landes
Qui cachent les bateaux amarrés sur les quais

Dans leur pays de pus où, dedans et dehors,
Les asticots repus gavés de nourriture
En suspens au plafond, dans les coins, sur les bords
Grouillent dans l’infecte et puante pourriture ;

Je les vois ces impies qui ont en bouche, Dieu,
En buvant sans répit les utopies charnelles
Se disant pleins de foi et animés d’un feu
Brûlant comme un soleil aux flammes éternelles

Où avarice et lucre, orgueil, stupre et luxure
Grandissent de guingois sur des terreaux trop beaux
Et vont chercher ailleurs une terre élue sure
Ceux dont l’âme égale la noirceur des corbeaux.

L’occident décadent se rongeant sang et doigts,
Tue ses enfants sans rois, qui tous, apeurés, toussent,
En portant sur l’épaule une funeste croix,
Du sang rouge qui mousse avec des glaires rousses.

A Dieu la pourriture et vive la fraîcheur
De la santé du cœur contre la sépulture
Des ans passés au fond des sillons du semeur :
La graine a besoin d’une eau pure et de culture.

Je reviens, sans liens, du lieu pourri des morts
Nourri de lie de vin restée sur les cadavres
Couverts de vers visqueux savourés par les porcs
Aux grognements troublant la douceur de leurs havres.

Je les voix efflanqués, troués par les misères,
Les yeux bouffis d’ennui, les mains aux os saillants,
Priant la vierge sur le chemin des rosaires
En sortant leurs phallus tordus et défaillants ;

Je vois celle qui s’est allée à délirer,
Se léchant jusqu’aux pieds en imitant la lionne
Et prie dieu dans les cieux qui se fait désirer :
« Accorde-moi une demi-queue d’un hémione »

Je m’en reviens, sans rien, du lieu pourri des morts
Où règne la vertu qui n’est rien sans le vice
Apparu quand se hisse, au sommet, le veau d’or
Qu’on dévisse et qu’on jette au fond d’un précipice.

L’endroit secret a la cardinale aptitude
A la sérénité une fois apaisé ;
Aujourd’hui, je le sais, j’ai changé d’attitude
Une fois sécrété mon trouble malaisé.

Je ne retournerai plus au pays des morts
Où le sang séché a été le premier fleuve
D’un lieu éviscéré refermé sur son port
Sans espérer que du ciel le renouveau pleuve.