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Jean-Michel BOLLET

Le chêne

Affrontant les étés et les rudes hivers,
Avec ténacité et la frondaison digne
Qu’il soit couvert de neige ou de feuillages verts,
Il est respecté par son caractère insigne.

Ses amis sont les champs depuis cent et mille ans
Et la terre tournée avec bœufs et charrue
Des forçats-paysans aux pas collants mi-lents
Qui sont une figure aujourd’hui disparue.

Se voient s’enfler autour de l’écorce des nœuds
Et s’allonger ses bras que la sève alimente
Soutenant le nid du geai qui prend soin des oeufs
Pour qu’un jour son petit éclos le complimente.

Les villageois d’antan, ivres de leur jeunesse
Allaient sous son ombrage et s’asseyaient dessus
Ses inertes serpents faisant mal à la fesse
Dont la queue s’enterrait dans des endroits cossus.

Il sentait bon la mousse et après une averse
D’autres odeurs passaient qu’ils jouaient à nommer :
Foin fraîchement coupé venu grâce à la herse,
Chaud lisier fermenté propre à les assommer.

Et comme était douce la sieste familière
Après la soupe aux pois et la saucisse au lard
En leur offrant une présence hospitalière
Qu’adoraient ces trapus, soiffards et rigolards...

Tôt, le matin, chacun, l’observe et le détaille :
Il est calme ou nerveux, serré ou évasé ;
Il nous prédit le vent, une pluie en bataille
Ou un soleil de plomb sur le mont embrasé.

Quand nous serons passés, toi tu nous survivras ;
Chêne, nous diras-tu où ira notre route ?
Tu vis des dos courbés, des fardeaux sur les bras :
Aurons-nous encore un peu de mie sous la croûte ?

Mais, tu n’en as cure et tu poursuis ta croissance
En poussant tes bourgeons poisseux et qui seront
Couronnés de feuillage et qui dans le vent dansent
En faisant grincer tes branches liées au tronc.

Et ton énorme pied commande à tous tes doigts
D’aller chercher à la fois boisson, nourriture
Qui reviennent donner de la force à tes bois
Prêts à se défendre contre la pourriture.

Chêne majestueux, tu servis les auspices
De Saint Louis qui te choisit pour présider
La solennité de l’action de justice
En s’appuyant sur toi comme pour le guider.

Tu es associé aux quatre-vingt années
De vraie fidélité par les époux humains
Et tes feuilles sur le képi sont alignées
Comme le laurier sur les empereurs romains.

Arbre, je te touche de mes mains tout entières ;
Je ne peux t’enlacer : laisse-moi t’embrasser,
Tu es de toutes les espèces forestières
La seule cuirassée qu’on ne peut terrasser.

Et si tu me donnais un petit peu de toi
Pour construire en bas de mon village ma ferme ?
Tu pourrais allonger quelques doigts sous mon toit
Et un autre à l’entrée pour que la porte ferme.

Ah, comme je voudrais te laisser mon empreinte
En mourant avec toi dans un espace creux
Quand tu seras très vieux et que tu auras crainte
D’entendre croasser le commun corbeau freux.

Dis, quand je te quittais, chaque soir, attendri
Par tes enchantements, je pleurais en silence ;
Une fois, je maudis douze ailes de perdrix
Volant par-dessus toi : mon dieu, quelle insolence !