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Jean-Michel BOLLET

Le beau bourg

Ils sont venus ici et s’y sont réunis
En laissant leurs hameaux vides et démunis ;
Ils vivent dans un beau bourg autour de son centre
Et vont à l’église pour lui remplir le ventre ;
La rue au magasin
A peur du Sarrasin
Qui viendrait dans la nuit égorger la volaille,
Saucissonner sur place et vider la tripaille,
Renverser les cageots et soutirer le vin,
Désenfourner le pain et voler le levain ;
Le milieu se referme
Pareil que dans la ferme
Sur le salon de thé (car privé de lycée,)
Le Maghrébin du coin à l’olive épicée,
Le bureau de poste et le crédit mutuel,
La vitrine en photo avec Ramatuel ;
Sinon, bien peu se voit
Ne s’entend pas de voix ;
A peine se perçoit un raclement de gorge,
Un souffle identique à un soufflement de forge
Qui tordait le fer pour protéger les sabots
Des chevaux et les yeux brillants trouvaient ça beau
Et ça sentait la viande
(Celle aussi qui faisande)
Les crottes de chiens et l’urine des bouchers,
Le vomi des soldats qui allaient se coucher,
Dans une caserne derrière une muraille
Pleine de canons et de boulets en ferraille ;
Aujourd’hui : terminé
On a tout déminé.
Le terrain de fous d’balle est couvert de pelouse
Vert bouteille et lavée de son antique bouse ;
Les vaches sont parties ruminer leur aigreur
Pour laisser s’installer la pâleur, la maigreur
Des filles des sixties
Toutes extraverties.
La mère Humbert a mis de l’eau dans le lavoir
Afin que les Anglais accourussent la voir
Ainsi qu’un pot en fer de géranium lierre
Qui tranche puissamment avec la blanche pierre ;
Ce n’est pas la faute aux
Amateurs de photo
Qui posent devant le monument plein d’histoire
Où les lavandières - le geste obligatoire –
Frappaient le linge pour qu’en sortît le purin
En chantant en chœur deux couplets et le refrain.
L’antiquité fait vendre
A qui a le cœur tendre ;
Les Hollandais passent et vont au restaurant
Ou à la quête d’un impétueux torrent
Précédés par un car de joyeux francophones
(Belges, Suisses aux mains pleines de téléphones) ;
Rigolards allemands
Venus également
Se disent étonnés que le magasin ferme
Si tôt ; Johanna dit : « on a quitté la ferme,
C’est pas pour qu’on s’emmerde à vendre un saucisson
A des cons qui viennent juste pour le frisson ;
Moi je suis héroïne
Shootée à l’héroïne. »
Mais le maire intervient : « C’est une comédienne ;
Je dirais même plus : une vraie tragédienne
Qui joue un rôle ingrat à l’image du bourg
Vivant autrefois sur de grands champs de labour
Mais c’est l’informatique
Qui dicte sa tactique
Et je pense qu’on va referrer les chevaux,
Rameuter les taureaux, les vaches et leurs veaux,
Prendre les œufs sortis tout chauds du cul des poules,
Recirer des bougies et jeter les ampoules ;
Se retaper dessus
Si on se sent déçus. »

Fous d’balle : football (prononcer foutbol)