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Jean-Michel BOLLET

La rue Bac-Ninh

Les gens connaissent bien la rue Victor Hugo
A coté de la cathédrale
Et même – excusez-moi – le nigaud Parigot
Dont l’inculture est viscérale.

Et si vous parlez de la rue René Cassin
Adjacente à la place Flore
Les yeux voient des gamins jouant dans un bassin
Où l’eau sent un peu trop le chlore.

Mais d’où vient ce nom que porte la rue Bac-Ninh
Qui embrasse la rue de Dole ?
Est-il dû à une région où le Viêt-Minh
Nous fit danser en farandole ?

Mes amis, c’est ici que j’ai ri et grandi
Et que se vit ma belle enfance
Parmi huit personnes avec qui j’ai brandi
Le drapeau de la grande France.

Ma ruelle empruntée par les gens du quartier
Est bordée de jardins de menthe,
De laurier, d’œillets, de thym et d’un églantier
Dont la rose s’offre à l’amante.

En face de chez nous, Boiston est le boucher
Qui fait l’andouille et l’andouillette
Et contraint ma mère à ses oreilles boucher
Car elle est quelque peu douillette

Quand elle entend le cri de la bête à saigner
Qui sent la descente implacable
Vers une mort torve et finira par baigner
Dans son propre sang impeccable.

Ses enfants sont aussi forts que mon père est beau
Et que ma mère est ouvrière
Qui m’apprit que Jésus-Christ fut mis au tombeau
Lors de ma première prière.

La mercerie était à madame Bertin
Qui vendait tissu, coton, laine
Et quand j’achetais son « Huma » j’étais certain
Qu’elle ouvrirait sa porcelaine

Pour y plonger sa main et en sortir deux francs
Qu’elle me donnait sans rien dire
Et je la regardais avec l’œil clair et franc
Car je n’avais rien à redire.

J’étais malheureux qu’elle et son mari très vieux
Ne fréquentassent pas la messe
Jalousés, cependant, par mon frère, envieux
Qui préférait bal et kermesse.

Deux mondes existaient comme depuis toujours :
L’un l’esprit, l’autre la matière ;
Petit, j’avais déjà choisi le don d’amour
A Dieu et à la terre entière

Mais les incroyants n’ont pas le sang des méchants
En sachant aussi le partage
Et Madame Bertin connaissait tous mes chants
Qui étaient son seul héritage.

Le couple est mort avec la grande humanité
Qui guidait sa foi communiste
Et ces simples ruraux avaient l’urbanité
Des Chrétiens à l’âme humaniste.

Vous viendrez, peut-être, à rue Bac-Ninh, en touriste
Ou en promeneur égaré
Qui me demanderez : « y a-t-il un fleuriste,
Je me suis à deux pas garé ? »

Je vous proposerai dans ma petite liste
D’amours vivant dans mon jardin
De caresser des yeux un blanc lys royaliste

Qui fait le bonheur d’un verdin
Venu d’Amérique en visiteur anodin
Lui siffler un air en soliste.