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Jean-Michel BOLLET

La griffure du temps

La griffure du temps érafle la santé
La gorge chaude où la voix douce a tant chanté
Et le pli de la bouche au coin ridant le rire
Devenu un rictus difficile à décrire
Effrayant la beauté tachée de mocheté
Et d’étoiles l’œil clair de bébé moucheté.

L’ongle aiguisé du temps se plante jusqu’au sang
En traversant l’écorce et le derme impuissants
A chasser le long cou de ce clou et la rouille
Sans gène arrive aider le ver qui déjà grouille
A manger lentement sans négliger le cœur
Le pire et le meilleur : cru vaincu, cuit vainqueur.

Le temps terriblement terrifie les vivants
Et les rocs et les monts et la terre vive en
La grattant, la rayant et sa large surface
Est si malmenée tant de profil que de face
Qu’elle aimerait – plaît-il ? - se jeter à la mer
Comme le vieil homme dont le pleur est amer

Qu’ils sont désobligeants les ongles durs du temps
Labourant chaque jour le grand champ mécontent
D’avoir été choisi tandis que le pré tendre
Ami de l’herbe verte est très fier à prétendre
Que si dans le soulier le pied est envié
Il reste modeste car il est en vie et

Griffes et ongles sont crochus fourchus souvent
Et peuvent s’accrocher à une aile de vent
Pour l’entraîner jusqu’à lui faire raser l’herbe
Puis la coucher sur le pré uni et superbe
De fleurs bleues et jaunes dressées dès le printemps
Que la laideur du temps par jalousie craint tant

L’inexorable marche en avant du fléau
Agace et met en bas les hauts murs du préau
Où l’enfant jouant à la maman rentre en classe
Et demande pourquoi à la maîtresse casse
Ce petit abri qui savait le protéger
Comme les barbelés du jardin potager

L’institutrice alors lui donne une leçon :
« Mes oreilles déjà moins entendent le son
Et se tendent un peu pour être à ton écoute
(Même si cet effort infime ne me coûte)
Quand chante en toi et en accords grâce à ce sens
Intact la mélodie d'un Brel et d'un Brassens. »

Dès à présent, un ongle acéré, bien taillé
Invisible et terrible a déjà bataillé
Sans qu’un opposant fier-à-bras se manifeste
Et brutalement ou lentement rien n’infeste
L’élément attaqué se pensant en corps sain
Et pouvant à la fin accomplir son dessein.

Plus qu'a ratissé, la griffe a défiguré
Ce que les médecins n’avaient pas auguré,
Tous les docteurs anciens disant que ce qui mine
La joue rose jaunie est l’excès d’albumine
Alors que maintenant se sait qu’un doigt perçant
Touille le sang comme un ongle de chat persan.

Les barrières, les murs, les hautes frondaisons,
Les fronts, les mentons ronds, les frontons des maisons
Victimes soumises au vernis translucide
Qui durcit l’ongle du temps ont l’esprit lucide
Et savent leur destin sans le voir, sans crier
Mais ils ont, c’est certain, le pouvoir de prier.