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Jean-Michel BOLLET

L'esprit tourmenté

Rien n’est moins sûr qu’un esprit tourmenté
Qui est peut-être sous-alimenté
D’attention, de clin d’œil, de tendresse,
De main dans le dos pour qu’il se redresse.

S’il eut faim de pain et soif de bon vin,
Il veut enfin un sourire angevin
Dans un visage où brille une myrtille
Au milieu d’yeux dont le regard pétille.

Il prit le chemin qui lui fut tracé
Et, à un virage sec, il fut lassé
- Collé à ses reins - par la solitude
Qui prenait de plus en plus d’amplitude.

Il avait pourtant croisé biche et faon
Et une famille avec un enfant,
Un lac argenté, un ruisseau limpide
Mais sa marche était beaucoup trop rapide.

Il aurait voulu retenir l’eau claire,
L’ombre de l'if que le soleil éclaire,
Le nuage qui, soufflé par le vent,
S’en va du côté du pays levant.

Sa mère avait dit : « ne t’arrête pas,
Va tout droit et ne compte pas tes pas. »
Il a don' laissé au buisson la mûre
Et a endossé sa solide armure

Pour se protéger d’un vent qui défrise,
De la pluie, du froid, même de la brise
Vêtue d’un habit de légèreté
Qu’elle portait dans les journées d’été.

Un midi, rompu de fatigue, il dut
S’asseoir à terre et il a entendu :
« Oh ! Le chemineau, vains dieux qu’il est moche !
Allez, fous le camp, pauvre vieille cloche ! »

Ces cris provenaient de vrais garnements
Turbulents mais dont le regard ne ment.
Il se leva et reprit une route
Où il ne vit plus la vache qui broute,

Le coquelicot rouge dans les blés,
Les vergers, les haies, les pins rassemblés
Mais il a trouvé que du mal se passe
Dans l’immensité de ce torve espace.

L’automobile a failli le tuer
Et il ne sut plus où se situer.
Il entra dans un beau bar où la bière
Se sert au verre par une rombière.

« Dis, tu viens d’où, toi ? – De la Chenalotte ;
- Te fous pas de moi : tu veux ta calotte ? »
- Non, à boire mais je n’ai pas d’argent ;
- Mais, monsieur, tu es très désobligeant,

La porte d’entrée fait aussi sortie :
Allez, barre-toi, purin brun d’ortie. »
Il a vu des rails qu’il a tant suivis
Que son esprit leur était asservi.

La nuit vint autour d'une lune rousse ;
Il s’étendit au sol avec la frousse.
Un jeune garçon, approchant, lui dit :
- Que fais-tu ici ? Es-tu un bandit ?

Il se dressa : Oui, je suis un Valjean
Et je fais partie des mauvaises gens.
- Jean Valjean jouant dans les Misérables,
Ces types sales et indésirables ?

Je suis un d’eux, un paria, un vaurien
Et j’ai volé d’un grand geste aérien.
Mais, c’est fini, j’ai nettoyé mon âme
Et je veux que Dieu me donne une femme

Pour prendre enfin le bon, le sûr chemin
Où les amoureux se tiennent la main
Et marchent jusqu’à trouver la clairière
Qui permet au cœur de faire carrière.

- Une femme, mais tu rêves, pouilleux !
Je subodore un « moi-je » orgueilleux…
Tu vois mon cheveu qui bouge : il se poile !
Allez, bonne nuit sous la belle étoile…

Son propos n’a pas été commenté
Et l'homme a gardé l’esprit tourmenté.
Il fit un clin d’œil à la nuit aveugle
Et il entendit un bovin qui meugle.

Il a cherché où dormait la tendresse
Mais – secrète – Dieu gardait son adresse ;
Il tendit en vain son entière main
Que ne prit aucun frère ou sœur humain.

Il s’est endormi, replié, parmi
Un tas de débris rempli de fourmis
Qui ont recouvert son être malade
Au terme d’une stérile balade.