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Jean-Michel BOLLET

L'avenue

L’avenue ne semblait pas se souvenir que
Son vieux papa était un sentier qui savait
Croquenots et sabots, souliers ferrés et queue
Des vaches qui chassait la mouche et le lavait

Après le pâté chaud et tout fumant de bouse
Propre à le décorer et à le parfumer
Que n’envient pas le parc, le jardin, la pelouse
Qui se font encrotter tout autant qu’enfumer.

Le brave toutou-chien, la bonne cigarette
Etaient aussi connus du bon long layon blond
Qui supportait les roues tordues de la charrette
Et l’écrasement des cailloux par l’étalon

Qui perdait l’équilibre et glissait dans l’eau fraîche
Dont le filet suivait dans un creux le chemin
Mais sa patte cornée devenait vite sèche
Et reprenait son train guidé par son humain.

L’humble voie vicinale était souvent souffrante
Et ne soufflait qu’après les passagers passés
Sur son dos bosselé mais se savait mourante
Et se pressait d’aller baiser les trépassés ;

Pourtant, elle jouait en joie avec madame
La pluie divine qui la nettoyait bien mieux
Que la queue du bovin dont les minima d’âme
Se voyaient très peu aux yeux de Dieu dans les cieux.

Elle se délectait du vent fou qui balaie
Ses abonnés ou ses usagers obligés
(Feuilles, marrons tombés) qui furent une plaie
Par les calvaires qu’il lui ont tant infligés.

Avant de quitter son sol, le sentier retrace
Sa vie où il prit bien de monde sur son dos,
De végétaux et de minéraux dont la trace
S’est perdue avec les beaux sabots des bardots,

Les roues en bois d’ormeau, d’acacia et de frêne,
Les pas des godillots, la frappe des bâtons,
Les ongles des bovins en troupeau que seul freine
Le vacher qui soigne ses petits ripatons.

Ereinté, cabossé, troué, sa sénescence
Le condamne à être perforé, raboté
Et il pense en pleurant au jour de sa naissance
Où ses cotés peuplés saluaient sa beauté.

Son destin est scellé par chaque arme mortelle
Et de fil en aiguille, une fillette naît
Aux épaules déjà larges, la force telle
Que le gotha saura de qui elle tenait.

Le père est enterré sous des mètres de terre
Et sa gamine a dit « je choisirai mon nom !
Mon dos parfaitement lisse a du caractère
Et saura dire aussi oui de même que non.

Les passagers triés ont fêté la venue
De la reine en succès au décès du sentier
Qui se fit baptiser fièrement « l’avenue »
Et offrit son tracé en partie, en entier.