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Jean-Michel BOLLET

Jouer aux pauvres

Je ne veux pas être cet humain qu’on regarde
Aussi banalement qu’un quidam pâle aimant
Son crâne dégarni et sa figure hagarde
Au teint aussi blanc qu’un Suisse du lac Léman.

Moi, je suis farfelu, improbable et fantasque
Et l’on ne verra pas quelqu’un me ressembler
Car, je porte, on le sait, moustache et béret basque,
Mon bébé dans le dos et le tout sans trembler.

D’avoir été loupé fut une grande chance
Même si perçaient mes boutons de puberté ;
J’ai découpé avec effort et en constance
En tronçons la laideur poussée en liberté ;

Est-ce la beauté par une bonté suspecte
Qui me permit le vol du coffre bien rempli
D’un casino royal qu’Anne-Lise respecte
Minée le lundi du souci de mise en pli.

Ainsi milliardaire et quoi que l’on en dise,
Je fuis au Sri Lanka pays dont l’excellent
Thé vert se suçote comme une friandise
Dont la reine affirme qu’il est de l’ex-Ceylan.

Du beau monde rit car j’amuse du beau monde
En donnant la journée un numéro rodé
Où j’endosse sans gêne un vêtement immonde
Devant le chatoiement d’or de soieries brodé.

Et l’on me donne à boire, on me prend par l’épaule :
« Dis, ami Yohanân, rouge du thé brûlant,
Raconte-nous comment tu as connu la Paule
Qui t’abandonna pour un marchand ambulant ?

Alors, pour mille et cent fois, ma langue improvise
Une incroyable histoire à laquelle (je crois)
Chacun adhère ainsi qu’un ver à la trévise
Ou un clou à la main de Jésus sur la croix.

Et plus le récit se noircit et s’enjolive
De cris, de pics, de bris de glace et de grigris
Et plus je suis pris pour Popeye sans Olive
Qui combat à lui seul cent mille esprits aigris.

Me glissent deux doigts dans ma poche, une roupie :
- Continue ; comment es-tu venu à Kandy ?
« Après avoir mangé rat et bu eau croupie
J’avais envie d’un thé vert sucré au Candy. »

Incroyable… (Rires) moi, vois-tu, je suis d’Inde,
- Me dit la superbe fille au front tatoué
Dans un Français parfait - et sans être une dinde
Je me laisse plumer par un homme doué.

Le gotha Sri Lankais d’applaudir et bien pire
De moquer ma blancheur dans mes habits troués
Que pas un ne voudrait porter pour un empire
Par peur de se voir par leur caste rabroués.

Ma narration, ma tenue vestimentaire
Sont des aimants puissants attirant l’anxieux
Croyant que si une pierre est sédimentaire
L’humain doit s’adapter afin de plaire aux Cieux

En – ironiquement – riant d’un anarchiste
Qui trouble le corpus établi par la Loi
Humano-divine où l’élément fétichiste
Est pour qui croit une Foi de fort bon aloi.

Si ces gens d’ornement me savaient plus que riche,
Auraient-ils envers moi de si larges égards ?
Je m’en fiche ; je triche et tant mieux si je triche :
Sur mon unicité convergent les regards.