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Jean-Michel BOLLET

Je tiens la main de mon petit-fils

Une promenade à la campagne à l’aurore
Avec dans ma main la main de mon petit-fils
Pendant que dans l’air clair la brume s’évapore
Et que l’araignée en rosée tisse ses fils

Un corbeau croasse et s’en va un merle chante
Des fleurs jaunes teintent l’herbe verte des champs
Un coup de vent avec sa grande aile méchante
Blesse à mort une blanche écorce en l’arrachant

L’homme en devenir qui me tient la main s’agite
Et ici et là me tire à hue et à dia
Son corps en entier par tous les sens ingurgite
Ce qui n’est pas dans le potager des média

Tout voir tout savoir oh pourquoi c’est l’anémone
Qui porte le prénom d’une fille d’Estaing
Pourquoi ces pétales de bleuets font l’aumône
A ces épis de blé penchés vers leur destin

Dis papy alors que moi j’avais un grand-père
Comment s’appelle cet arbre au tronc rectiligne
Pareil que son suivant qui paraît un compère
Acceptant d’être avec lui sur la même ligne

Je précise qu’il n’est pas l’auteur de la phrase
Que je viens d’écrire avec des mots inconnus
A ce quart de moi qui à septante ans m’embrase
Sous des ciels flamboyant sur des coteaux cornus

Je me remémore mes années de scoutisme
Où le frère Jaccard et Henri Faucompré
M’ont appris sans que j’en sentisse un traumatisme
La différence entre un champ de blés et un pré

Entre la feuille d’un peuplier et d’un chêne
Entre le cerf porteur de bois et le chamois
Entre l’esprit et la matière qui enchaîne
Toutes les petites joies qui croissent en moi

Oui, ces deux pauvres m’ont appris ce qu’être riche
En me parlant en Grec ancien et en Latin
Et m’ont expliqué que si vide est la bourriche
Dieu le sait et envoie du gibier qui l’atteint

Mon quart de moi n’a pas en corps l’intelligence
Qui fait grandir jusqu’à la cime des sommets
En choisissant chaque prise avec l’exigence
Du poète dont les vers font de beaux sonnets

De ma hauteur je le contemple et le domine
Comme Granada sous la sierra Nevada
Mais la ville andalouse a une vitamine
Telle qu’aucun de là un jour ne s’évada

Le Mulhacén à neige éternelle impressionne
En apportant et la force et le réconfort
Et l’habitant à son pied ne se soumissionne
Puisqu’en symbiose avec son corps il se sent fort

Ainsi pour mon petit je suis une montagne
Qui voit tout qui sait tout et qui parle Latin
Qui peut grimper sur le Mulhacén en Espagne
Et sur les monts romains Aventin Palatin

Il visera peut-être aussi le mont Olympe
Quand il saura parler le grec avec les Dieux
Qui lui diront encore un effort vas-y grimpe
En allumant de blancs-bleus éclairs radieux

Quand il arrivera auréolé de gloire
Il serrera la main de ses nouveaux copains
Puis parleront de Saint-Céré et de Magloire
De l’abbé de même nom et d’amis de pains

Oui, car les Dieux savent descendre du nuage
Et se tapent comme nous des rigolethons
Qui durent des nuits et sous la cloche à fromage
Les Brie se sont enfuis nourrir les gueuletons

Je renfile le fil sorti de son aiguille
Pour recoudre les Dieux avec mon petit-fils
Unis ainsi que biche-faon, civelle-anguille
Qui ont les quoiqu’on en dise mêmes profils

Ils parleront de lys, de thym, de violette
De prières sacrées portées par les grands chants
Du yogev du bresse bleu de la mimolette
Et du chèvre aimé frais par les sœurs de Grandchamp

Ils riront à gorge déployée de la viande
Subterfuge employé pour cacher l’animal
Courant dans la basse-cour sans télécommande
Qui finira tué quoi que de plus normal

Si c’est le pire que nous savons de Marseille
Mon descendant le sait déjà depuis longtemps
Mais mes dieux s’il revient du ciel je lui conseille
De s’ensuisser à Berne et je mourrai content

Pour le moment je le mène vers son destin
Et ma libre main lui indique une jacinthe
Se prénommant comme une autre fille d’Estaing
Dont la mère Anémone est la fleur déjà sainte

Il entend les hou-hou les glouglous les coucous
Et emplit ses poumons des parfums de la brise
Puis plaquant sa main sur mes yeux me fait coucou
C’est moi rentrons vite dis car l’air vif me brise

D’accord si tu veux on verra Raymond Jaccard
Dans une vidéo bien filmée sur youtube
C’était l’aumônier scout dont je ne suis qu’un quart
Qui fait taire celui qui déconne à plein tube

Et si je suis aussi trivial qu’aujourd’hui
C’est pour que tu prennes très vite conscience
Que le mot laid n’est rien si la vie se conduit
Quand le cœur et l’esprit unissent leur science

Tu as vu la vache dans un champ le crapaud
Que tu ne connais pas ressemble à la grenouille
Dont la peau est dans l’eau comme flotte un drapeau
Dans le pur azur sous lequel je m’agenouille

Ce drapeau est celui qui élève l’esprit
Et abaisse sans cesse une inerte matière
Attirée par celui qui se trompa et prit
Le royaume des cieux pour un trou de ratière

Grandir n’est pas à la portée de tous hélas
Qui n’ont pas eu la main dans la main d’un doux dingue
Sachant discriminer muscat et chasselas
Quand s’empoisonne un in avec une seringue

Paradoxalement le grand est ce petit
Qui rase les murs blancs pour se fondre dans l’ombre
Qui résiste au oui même assoiffé d’appétit
Si le mets présenté est issu d’un décombre

Paradoxalement le petit est ce grand
Qui n’a pas de sa veste au revers de médailles
Mais comme ces enfants du capitaine Grant
Accepte humblement de conduire des batailles

Grand le petit devient le petit grand devient
Quand ils savent enfin ce qu’est la transcendance
Qui dépasse l’humain mieux que ce chien qui vient
Lécher sa main malgré sa lupine ascendance

Dahlias giroflées hortensias glaïeuls
Ne nous voient pas car ils ont le pétale aveugle
Les mammouths les bisons les coqs ont des aïeuls
Percevant qu’un bœuf beugle et qu’une vache meugle

Dis tu as raison petit-fils il est midi
Rentrons à la maison me saisit le délire
Du vieillard qui a ri avec l’ami sidi
Un seigneur algérien au vif désir de lire

Pour tout voir tout savoir ce qu’il ne saura pas
Dans le dictionnaire ou l’encyclopédie
Oui j’ai vu et su et lu pendant mes repas
Et ce que j’ai reçu je le réexpédie

Je le rejette vers le mystère éternel
Qui fait mourir le ver de terre et mourir l’homme
Mais Dieu Père des cieux et son fils fraternel
Dénouent les fils d’enfer dont l’aiguille est à Rome

Dis papy alors que moi j’avais un grand-père
Je n’ai pas tout compris mets-nous Raymond Jaccard
- D’accord nous voici chez nous plan-plan bien pépère
J’espère que pourra te plaire au moins le quart.

S’ensuisser : Vivre en Suisse : néologisme
In : Anglicisme (par opposition à out)