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Jean-Michel BOLLET

Je pleure hier

Je pleure hier et les prières de ma mère
Le baquet à ras d’eau le savon en copeaux
Qui lessive après les linges nos pauvres peaux
Remplies de bobos que l’épiderme énumère

Je pleure les grâces les benedicite
Le lit que vient border en m’embrassant maman
Mon ange que je vois brillant au firmament
Et ma sagesse que l’Eternel félicite

Je pleure hier et les cent chants de mon enfance
Les marches sous la pluie dans mon habit de scout
Le tissu recousu qui en a su le coût
Le rire de celui qui vit dans la souffrance

Je pleure mes printemps passés au vent d’automne
Des étés en janvier qui vont jusqu’au mois d’août
Et les hivers toujours depuis longtemps plus doux
S’en remettent à Dieu qui des ses cieux s’étonne

Je pleure hier et les leçons de la maîtresse
Les devoirs et les droits mais surtout les devoirs
Qui nous disent d’aller parés de nos savoirs
Sur la déserte allée de la forêt traîtresse

Je pleure la mare aux têtards avec la glace
Dont elle se couvre l’hiver pour maintenir
Grenouilles et crapauds qu’elle peut contenir
En sécurité dans l’étendue de sa place

Je pleure hier et le peu de roues dans la rue
Mais des raquettes des ballons et des patins
Que regardent les soirs et parfois les matins
En même temps qu’ils voient passer bœuf et charrue

Je pleure le peintre sur son échafaudage
Calot sur la tête et aux lèvres la chanson
Oh mon sol est mis haut lui qui se lâche en son
Nouveau pays charmé par son marivaudage

Je pleure hier la noire ardoise et la craie blanche
La blouse grise et les fers cloués aux souliers
Qui nous mènent là où sont posés les bouliers
Pour compter chaque fibre et veine d’une planche

Je pleure enfin le jour venu de la naissance
Fêtée dans les foyers de l’Enfant espéré
Sauveur d’humanité mais qui n’a prospéré
Qu’après que la terre en a fait la connaissance

Je pleure hier Duval le curé guitariste
Réveillé par youtube après s’être couché
Dans la poussière où sa mère avait accouché
Sans savoir qu’il serait un jour séminariste

Je ne pleure pas cet absurde Noël père
Incendié par Kir à Dijon sur un toit
Et je pleure Dieu-vous au moderne Dieu-toi
Sorti par icelui qui perdit son repère.

Je ne peux plus pleurer je n’ai plus une larme
Dans le puits qu’ont creusé les sentiments vieillis
Que je vais remplir à nouveau dans mon treillis
De lutteur pour la vie avec je sais quelle arme.