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Jean-Michel BOLLET

Il vous tue

On a passé du il au vous devenu tu :
Comment vas-tu, salut, la bise sur la joue
Et l’on a tu le mot parlant du courbatu
Car ce n’est pas avec un malade qu’on joue.

Il n’est pas si lointain le culte du respect,
Les codes enseignés à la bonne conduite.
Nos maîtres nous disaient de mériter la paix
En dictant sa pensée habilement traduite.

Sa majesté le Roi, au cœur pétri de Foi
Eut souci du regard de Dieu et des beaux gestes ;
Monsieur l’ambassadeur, personnage de choix
Fut de Lui l’Excellence aux vertus manifestes.

Madame de lait frais voudra-t-elle un nuage
Pour adoucir assez ces deux larmes de thé ?
Je lui proposerais, selon le bon usage
D’accepter cette offrande honorant sa beauté.

Maître, cher maître Hulin, voyez ce parchemin
Que vous désirez tant, le voici, je vous l’offre
Et pour le transporter par mer et par chemin
Il me suffit de l’or que contient votre coffre.

Ah, comme ils sont plaisants ces jolis sentiments
Autour de doux égards et de phrases polies ;
Cela coûterait-t-il de dire gentiment
Que les femmes âgées sont encore jolies ?

Le théâtre est sur scène et les clowns dans la rue,
La danse est au salon, les chansons dans le bain ;
C’est quand débordent les eaux qu’arrive la crue
Et que l’acteur se noie malgré son charme urbain.

D’aucuns diront : mais non, il est inévitable
De mettre tout à plat, de réduire l’écart,
De convier le peuple autour de la grand’table
Afin de partager entier, moitié et quart.

Et, uniformément, camarade, je serre
les cinq doigts de ta main avec fraternité,
Mais, rends-moi au moins un mien qui m’est nécessaire
Pour choyer mon bébé né en maternité.

Ah, mon dieu, méritez-vous que je vous tutoie,
Ô père céleste et bon qui m’avez donné
L’ineffable bonheur, la truculente joie
D’être aimé sans que vous m’ayez abandonné ?

Croyez-vous que je puisse user du tu qui tue
La suprême vertu et la distinction
De recevoir de Vous l’amour qui perpétue
Une relation sans peur d’extinction ?

Pensez-vous qui voyez mon père, ô divin Père
De vos yeux éclairés, qu’il se tient droit debout ?
Tard levé le matin, il cogite, erre, espère
Qu’il vomira sa bière et son vin aux deux bouts.

A lui, moi, je dis tu : que voudrait-il de plus ?
Géant mal élevé, il m’arrive à la taille
Et à vous aussi, il a fortement déplu
Bien qu’il ne vous jamais ait livré de bataille.

Quel serait cet oiseau si laid qu’il nous effraie
En péjorant son nom donné à l’être humain ?
Hibou, buse, corbeau, vautour, chouette effraie
Tutoient l’ange des cieux quand l’homme aboie son chien.

Alors, turlututu, tutu, chapeau pointu,
Qui sera le dindon au grand bal de la farce ?
Je veux bien tout de vous, mais je ne veux point « tu
Veux danser la valse avec une belle garce ! »

Il vous tue, je vous dis, vous m’avez bien compris,
Le commun tu écrit avec le cri qui tue ;
Je préfère le vous, le tu est déjà pris
Par toi qui ris, Fifi, d’un cul nu de statue.