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Jean-Michel BOLLET

Il parlait l'Araméen

Ce Juif noiraud, trapu, parlait l’Araméen,
Une langue qui ne l’a survécu que morte
Comme il est mort aussi, le gars Nazaréen
Sur la croix dont le bois eût pu servir de porte
Qui lui était fermée au bled où il fut né
Et ses parents pleurants l’ont mis dans une crèche
Un vieux lieu réservé non pas au fortuné
Ni à celui dont la gourde est pleine d’eau fraîche
Mais au petit dernier, le dernier des derniers,
Le petit qu’on oublie tout au fond de la classe
Qui regarde au carreau frémir les marronniers
Dont le balancement tranquille les délasse
Et il se dit que lui voudrait être comme eux
Puissamment installés dans la cour de l’école
Et personne en passant très près d'eux ne s’émeut
Que leur pied au sol tient sans un besoin de colle.
Il a l’âme élastique et le cœur caoutchouc
Partagés entre la liberté et la force
L’enivrement et la sobriété du chou
Dont les feuilles ne font pas bomber son beau torse.
Que fera-t-il demain le gars Nazaréen
Qui commença sa vie dans une crèche-étable ?
Connaîtra-t-il un sud ou un nord coréen
Assis face à sa face à une même table ?
Il choisit plus et mieux que cela, il se prit
Pour le fils de celui qui a crée le monde
L’univers et le vert de la mer et l’esprit
Armé pour arrêter l’avancée de l’immonde
Bête qui s’introduit dans le faible et lui mord
Le cœur pour l’endurcir et le conduire à faire
Ce que n’a jamais pu envisager un mort
Après la faillite de sa petite affaire.
Il répandit partout qu’il était l’envoyé,
Le Messie espéré par un peuple en souffrance
Qui était devenu la proie d’un dévoyé
Pouvoir qui avait sur lui la prépondérance.
Il a dit ce qu’il fit et fit ce qu’il a dit
En s’appuyant sur la volonté de son Père
Régnant calmement dans un secret paradis
Imaginé par toute espèce qui espère
Découvrir la source où coulent des miels gelés ;
Il n’a pas suivi un chemin bordé de roses
Emprunté par les pieds dans des souliers ailés
Mais s’est enfilé dans des sentiers de nécroses
Où ronce, houx, boue, gui pourris sont emmêlés.
Il s’est dit porteur de la bonne nouvelle et
A parlé au pauvre, au malade et à l’esclave
D’un monde désuet qui se renouvelait
Par la plongée dans l’eau sanctifiée qui lave
L’impureté de l’âme où niche le péché
A la crasse épaisse et dure et lourde au possible
Qui partira dans le bain qui n’est empêché
Que par le Malin qui vise la même cible.
Mais l’habile roué n’est pas si affûté
Et perd parfois son sang-froid face à une force
Décidée à montrer son bon côté futé
En bombant hardiment la maigreur de son torse.
Champion, il obtint, dit-on, la guérison
Du paralytique, du lépreux, de l’aveugle
En les faisant sortir d’une horrible prison
Où ne s’entend même pas quand la vache meugle.
Et toujours, il marchait sur ces mauvais sentiers
Fréquentés par serpents, rats musqués et moustiques
Balayés par des vents échappés des brasiers
Où grillent des vivants croyants et agnostiques.
***
Pauvre noiraud trapu et qui en plus est laid
Pourquoi a-tu voulu montrer ta face au monde
Et ta bonté qui te fut donnée par le lait
Que tu bus au pis de la brebis moribonde
Depuis qu’elle a su que tu étais recherché
Et qui titube dans le sang du sacrifice
De l’agneau égorgé par le loup alléché
Par la pureté qui jaillit d’un orifice
Déchiré ; mais les crocs exercés à tuer
Un jour deviendront des dents modelant la pâte
De modèles nouveaux car la vie sait muer
En changeant en main blanche une vilaine patte.
O doux-fou Yeshoua, tes contradictions
Sont aussi lourdes que le faix que l’homme porte ;
Tu as voulu vaincre les malédictions
Et tu fis pire mort qu’un corps mort de cloporte.