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Jean-Michel BOLLET

Fumier

Jolie jeune fille, j’ai vu que vous fumiez
Une cigarette dans la rue Baudelaire ;
Le parfum du blond ou du brun paraît vous plaire
Après l’âcre fumet des vapeurs du fumier.

Nos parents très longtemps furent des paysans
Qui ont passé le nez collé au cul des vaches
A la queue balayant cils, sourcils et moustaches
Tout en balançant des odeurs de vieux faisans.

Ils ont harnaché les bœufs blancs et les chevaux
Puis ont récolté le chaud crottin à la pelle ;
Et quand une maman jument la nuit appelle
Pour son accouchement, leurs mains font les travaux.

Ils ont lancé le grain aux oies, poules, canards,
Nettoyé les clapiers des lapins, des lapines ;
Ils ont débusqué dans les buissons d’aubépines
Des marmottes, des loirs, des blaireaux, des renards.

Les toilettes étaient au fin fond du jardin
Où tourbillonnait une étincelante mouche
(A tenter d’éviter pour ne pas qu’elle touche
La bouche en la chassant du côté du « boudin. »)

Sous les chapeaux, la ride avait creusé le front
Rougi par le soleil et l’acier de la bise
Mais sans fard de honte, chantaient les vieux « offrons
Nos joues aux désireux de nous donner la bise. »

Un féru de tabac gris sa pipe bourrait
Ou roulait celui-ci dans une cigarette ;
Sa femme cancanait « Oh, mon homme pourrait
Comprendre que ça pue ! Mais, que sézigue arrête…

Pour sûr, elle riait et dans l’âtre brûlait
La bûche de chêne qui léchait la marmite
Où cuisaient les navets dans un litre de lait
Pris au pis – quelques fois - atteints d’une mammite.

Dans la cuisine de terre battue un porc
Grognait en fouillant de son groin une bassine
Où les épluchures assuraient un apport
A ses jambons si bons avant qu’on « l’assassine »

La pièce basse et sombre étaient là où l’on vit,
Les narines toujours ouvertes sur le rance,
Le moisi, le trop cuit, les étrons et l’on vit
Que ces gagne-petits avaient bâti la France.

Jeune fille jolie, tu fumes du tabac
Blond ou brun quand il fut gris chez le fier ancêtre,
Qui ne savait pas mais toi tu sais qu’il t’abat
Alors, demande-toi ce que ton cœur pense être.

Demande-toi pourquoi les anciens mouraient tôt,
Eux qui pour oublier par moments leur vie dure,
Les déchets, les odeurs, s’offraient un beau château
Où les murs en fumée partaient au vide-ordure.