Vos
poèmes

Poésie Française : 1 er site français de poésie

Vos<br>poemes
Offrir
ce poème

Jean-Michel BOLLET

Décombres


Fourbu, vaincu, il ressent la fatigue
D’aller et venir, de rentrer sur terre
Après les mers, les brisures de digue,
L’éclair aveuglant, l’effroi du tonnerre ;

Son habit se déchire à l’étoffe du rêve,
Son artère bleuie se vide de sa sève
Quand l’heure passe, molle, implacable et sans trêve.

Tout se disloque sur les loques de son corps :
Son vêtement noir est celui des siècles morts.

Il avait mis le feu rouge au cœur de ses pierres
Dans les gigantesques brasiers de ses pensées,
Brûlant chacun des cils de ses paupières
Et sa ferveur et son ardeur s’étaient cassées
Sur les hauts murs érigés en barrières.

Le bien, le mal, le rien, le tout,
Le faisaient chavirer beaucoup
Mais il se maintenait debout
Et se passait la main au cou

Puis sur son front bouillant,
Frottant ses yeux de sang,
La langue entre les dents,
La salive coulant

Sur le lit défait des contraires,
Des oppositions guerrières
Dans les avant, dans les arrières
En prières manoeuvrières.

Il ne pouvait vivre mais ne voulait mourir
Entre les non battus et les oui corrigés ;
Il n’avait même plus la force de courir
Et n’entretenait plus ses pieds si négligés.

Il se sentait l’aïeul de celui qui est seul,
Le grand père d’une terre aux siècles pourris
Où l’humain associe le glaïeul au linceul,
L’aigle à l’acérée serre à l’ongle des souris.

Le soleil est bien vieux mais n’a pas besoin d’ombres ;
Et, lui, occis, fut-il un jour victorieux ?
Après tant de drames, ruines et décombres,
Peut-il se regarder, debout, droit dans les yeux ?

Misère ! crie-t-il à toute l’éternité
Portée au poids de son humanité
Dont il connaît l’inanité.

Pourra-t-il se blottir au creux de la Sagesse
Où règne en son profond l’étendue du Savoir,
La flamme attisée par les forces de Faiblesse
Ecartant le Pouvoir en portant le Vouloir

A battre l’hydre mou qui pousse en maladie
Sur la peau ravagée par un fol incendie,

A rire du malheur, à en rougir d’orgueil
Avec le vagabond qui dans la ville passe
Et devant sa maison, essuie ses pas au seuil
Puis en franchit la porte : on abolit la race.

Et sortir avec lui et pleurer de l’Espoir
Qui tombe en trombes d’eau et noient toutes les peines,
Enjoindre l’aube d’aller saluer le soir,
Délaisser le présent pour les heures prochaines,
Extraire la pépite sous le temps qui passe,
Et lasse et avance avec sa froide menace :

Ne pas lever les yeux aux cieux
Ne pas descendre le nuage
Ne pas éclairer l’œil du Sage :

Garder le mystère de Dieu.