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Jean-Michel BOLLET

Cellin

Ils choquent leurs genoux en dessous de la table
Aussi large que dix jambes de pantalon
Et découpent le bon jambon jusqu’au talon
En écoutant meugler la vache dans l’étable.

Le cochon fut tué la semaine dernière
Et ce soir, Alphonsine accouche d’un beau veau
Qu’André attendait et chante « place Beauvau
Ils sont tout un troupeau dans une luzernière. »

Antoinette dit « tu te moques des gendarmes ; »
Et un gars égrillard « mais non, c’est des poulets ;
Paul, à l’un, a tranché le cou, le sang coulait ;
Ce matin, il avait sorti ses belles armes. »

Jules se met debout et chacun fait de même
Pour aller soulager la marchande de lait
Qui n’a pas demandé la grâce d’un délai
Pour que naisse son fils sans causer de problème.

Le groupe revient tout ému dans la cuisine
Où Antoinette avait débouché un vin vieux
Que dévore Pépé de ses yeux envieux
En murmurant « vains dieux, c’est pas de la benzine. »

Ils s’engorgent du fruit rouge exquis de la vigne
Et Alfred crie : « Dites ! Qui a vu Marcellin ?
- Marcellin, il était avec Jean l’orphelin
Hier au soir et depuis, il n’a plus donné signe.

Il faudrait qu’on allât le chercher ; c’est étrange…
D’habitude, avec nous, il boit toujours son coup
Et des gars comme lui j’en connais pas beaucoup
Qui, même saouls, vont voir leurs bêtes dans la grange.

Vêtus, coiffés, chaussés, lents, ils passent la porte
Puis entreprennent la traversée du grand champ
En tremblant dans la nuit remplie d’un froid méchant
Enveloppant la masse informe du cloporte

Qui progresse, muet, sur ses pattes sans nombre
Pour aller faire la peau à cet assassin
De pluie, d’imprévu, de trouille, de marcassin ( ? )
Qui a occis l’ami « Cellin » dans un coin sombre.

Antoinette accourue, interpelle l’insecte :
« Cellin » et l’orphelin ont été retrouvés !
Assis, autour du puits, ils semblent éprouvés…
On dirait qu’ils sortent moribonds d’une secte. »

Alors, le cloporte se dresse d’un seul homme
Et dit « qu’ont-ils donc vu ? C’était un sanglier ?
Un spadassin semblable à un Bersaglier ?
Cet insolite fait, il faut bien qu’on le nomme. »

L’Homme, alors, s’approche du puits : « ce phénomène
Vous a donc fait si peur ; je vous vois grelotter ;
- C’est la Marie-Paule qui s’est fait peloter
Par Marcellin, ce n’est qu’un triste énergumène !

« Orphelin, ferait-ce l’objet d’un traumatisme !
- Traumatisme ? Je dis que cet un assassin !
- Assassin ? Pour une main plaquée sur un sein ?
- Marie l’a giflé… Il… n’a pas de… rhumatisme :

Il a serré son cou sous une lune blanche
De peur qui a passé sous un nuage noir ;
Une étoile a brillé et il a laissé choir
Le corps déjà mort et raide comme une planche

Qu’on a jeté dans le puits du père Balanche ;
Maintenant, laissez-moi ; je rentre à la maison ;
Je dois éplucher les légumes de saison :
Il ne faut pas que ma petite femme flanche. »

L’orphelin reprend la route de sa demeure ;
Et Marcellin comprend ce que l’Homme espérait :
Il se met dans le puits ; il savait qu’il paierait…
(Comme il est juste qu’un membre de Sade meure.)

Se redéploie L’Homme qui redevient cloporte ;
« Toinette » mouche et le champ est retraversé ;
Pleut un peu un nuage et très bouleversé,
Le veau – blanc - les attend pleurant devant la porte.