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Jean-Michel BOLLET

Caviar

Les travailleurs de la conclusive heure
Partagent les œufs d’esturgeon ;
L’élite, la classe supérieure
Semonce au fond le sauvageon.

Ils ont laissé leur chaise au ministère
Pour s’aller chez l’étoilé seoir
En pensant au sang battant dans l’artère
Du crépuscule jusqu’au soir.

Ils parlent du peuple : oh ! Le peuple souffre
(Qui entend le mot dit « t’es rien »)
De la finance à la senteur de soufre
Empestant le maudit terrien.

Ils raillent la grosse ou maigre entreprise
Qui n’a pas un seul bac plus trois
Et leur dédain doublé d’orgueil méprise
Ces cerveaux de veaux à l’étroit.

Ils reprennent du caviar à la louche
Et boivent la Champagne en vin ;
Ils ont l’œil droit qui sur l’œil gauche louche
Et tentent de viser, en vain.

Ca coule autour du cou, ça se mélange
Et les voici tous en chansons :
« Faisons le con, mangeons, buvons mais l’Ange
Nous aimera si nous dansons ;

De Dieu, c’est un bon fonctionnaire
Comme nous de l’état-patron. »
Nous nions le risque et l’actionnaire
Mais bannissons-nous le poltron ?

La porte, alors, du restaurant s’entrouvre
Et un paysan innocent
Lance à la salle « où se trouve le Louvre ? »
Avec son gasconnais accent.

- Oh ! Il ferme ses entrées de bonne heure
Et reste rue de Rivoli ;
Entre donc et oublie l’Asie mineure
Mona Lisa et Tripoli.

Dis-moi, tu sens la campagne et l’étable
La mamelle gonflée de lait ;
Je t’invite à t’asseoir à ma table
Mais va te laver s’il te plaît.

Fais un détour pour te rendre aux toilettes
Afin d’éviter nos parfums
De roses, de santals, de violettes
Qui vont si bien aux nez bien fins.

L’élite a la joue douce et la main blanche
Qui ne salit pas le stylo
Obéissant ; et tout notre être planche
Quand est sotte la dactylo.

Tu goûteras au caviar : le délice
Réservé aux gars de l’Etat
Qui ont laissé le biplan à hélice
Au musée de l’aérostat.

- Le caviar ? J’en cultive à Bon-Encontre
En légume bleu-violet
Et le matin je pars à sa rencontre
Quand j’ai poussé mon vert volet.

- Quoi ? Que chantes-tu là, cul plein de bouse ?
L’œuf sort du fond d’un esturgeon ;
Va, rentre chez toi et remets ta blouse
Pour soigner ton champ d’escourgeon.

- Macarel ! J’ai à faire au parfait sot…
Sais-tu que la belle aubergine
Au ventre aussi gros qu’un gras de cuissot
Se met en scène et s’imagine

Se mélanger avec l’huile d’olive
Et se dorer pour faire un mets
Délicieux attirant la salive
Seule engorgée chez les gourmets ?

Moi, paysan, auguste aristocrate
Je ris de tes poissons aux œufs
Salés goûtés par la gent ploutocrate
Affairée au travail oiseux.

Je te sors de mon sac un œuf de poule
Qui ne t’embrasse pas le bec
A clouer ; troue-le d’un coup pour qu’il coule
Sous tes yeux sans salamalec.

Ce chef-d’œuvre créée par le miracle
Est un beau jaune au cœur d’un blanc
Qui deviendra selon l’antique oracle
« Joli petit poussin tremblant. »

Non, ton poisson ne manque pas de fesse
Et pond ma poule un oeuf du cul
Dont le bébé aura je le confesse
Bien mieux que l’esturgeon vécu

Jusqu’à ce qu’un dimanche je le mange
Après qu’il a grandi au grain
Déjà, dans sa coquille, il me démange
Et adulte, il a de l’arrière-train.. !

J’ai du caviar au choix devant ma porte
Et ma santé dit liberté ;
Fonctionnaire et médiocre t’importe
Seule une mal placée fierté.

Vous puez tous le fiel, l’outrecuidance
Quand je sens pluie soleil et vent
Remplir ma vie du flot de l’abondance
Sans passer par un trou d’évent.

Adieu mépris, lie et purin d’ortie ;
Le Louvre étouffe le hautain
Qu’il fermement pousse vers la sortie
Mais sourit à l’humble aquitain.

Adieu, tas de vers qui grouillez sans terre
Et vive mon retour où sont
Les Vérités formant le caractère
Des hommes que nous nourrissons.