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Jean-Marin SERRE

Le retour du naufragé

Sur un rivage blanc où les vagues s’épuisent
Le corps d’un naufragé est vomi par les algues ;
Comme il est tard la nuit et que la mer est grise
On ne voit rien qu’une ombre dans l’étreinte des vagues.

Et le flux le soulève et le reflux l’apaise,
Parodie dérisoire de vie après la vie,
Sous un ciel de nuages qui attendent et qui pèsent…
La mer tendre le caresse pour le prendre à la nuit.

D’où vient–il ? Qui est –il ? Vers quelles Indes magiques
S’était–il embarqué ? Quel trésor mirifique
Est–il allé chercher sur les côtes d’Afrique
Pour échouer ce soir sur cette plage tragique ?

Nul ne sait l’odyssée – Qui saura le voyage ?
De ce sombre fétu, anonyme, ondoyant
Qui singe le mouvement quand respire l’océan
Que la Lune pâle attire vers des soleils sans âge.

Visage de papyrus et mains de parchemin,
En sa chair sont écrits de son sang les chemins
Qu’il a suivis, têtu, confiant au vent marin
Son destin, ses amours, le festin de ses jours.

Et comme le vent se lève et que les flots mugissent,
Les cieux d’ébène crachent des insultes à la terre,
Le bras de Dieu s’allonge et fugaces surgissent
Des éclairs qui s’enfuient que poursuit le tonnerre.

Tel Lazare il se dresse et sort de son cercueil…
Mais c’est pour te maudire comme Christ à Béthanie,
Maudire les cœurs qui nient dans des corps qui accueillent
Tombes closes sur la tendresse où les scellés sont mis.

Et contre le front gris tourmenté de la mer
Ce corps agenouillé devient figure de proue
Qui se livre aux embruns de tes larmes amères
Offrant à ton regard dur et fier un grand trou :

Il a aimé souvent et donc pleuré beaucoup
Ses pleurs ont eu leur charme, il a vécu amant ;
Mais la mer accouchant de son corps tristement,
Tient son cœur au tombeau, là-bas, au fond de l’eau.

Le naufragé se lève et menace le ciel noir,
Invective l’amour et pleure de désespoir
Et tandis que le vent en sifflant le traverse,
Il crie son testament en face des cieux adverses :

« Quand je porte mes mains à ma poitrine vide
Je sais que maintenant je suis votre semblable…
Votre amour peut fleurir dans mes steppes arides,
Plus rien ne m’intéresse que la beauté du Diable ! »

Epuisé, il se couche et la mer le reprend,
Doucement, comme une mère vient border son enfant
Et ses lames se mêlent aux larmes du gisant
Qui expire son amour et meurt au petit jour.