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Jean CIPHAN

Vicky et Jacquot.

Clins d’œil à José Maria de Heredia (1), Pierre de Ronsard (2),
Charles Baudelaire (3 & 4), Arthur Rimbaud (5), Paul Verlaine (6)…
et à Jacques Prévert (7).

(Avec La Mère, Le Père et L’Ancien.)

Vicky a vingt ans.
Ou juste un peu plus.
Vicky a juste un peu plus de vingt ans.

– L’Ancien, dit-il, écris-moi un poème,
Un poème pour moi,
Pour moi tout seul,
Comme je les aime !

– Un poème comment ?

– Un poème comme Jacquot les écrit…

– Hélas, il n’écrit plus, Jacquot, répond L’Ancien. Il est mort.
C’était il y a longtemps.
Un 11 avril, je m’en souviens…
Longtemps, j’ai détesté les 11 avril.
Et puis j’ai oublié de les détester…

– L’Ancien, reprend Vicky, écris-moi un poème,
Un poème pour moi,
Pour moi tout seul,
Comme je les aime!

– J’essaie, Vicky, j’essaie :
«Pour faire le portrait d’un oiseau.
Peindre d’abord une cage
Avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau… (7)»

– L’Ancien, tu te moques ?

– Non, mon Vicky…
Tu es l’oiseau. La cage est là, avec sa porte ouverte…
Tu n’es pas loin, Vicky ! Tu es dans cet arbre tout près…

«Et tu vois ci,
Tout auprès de la cage avec sa porte ouverte,
La Mère qui t’appelle et sourit.
Tu l’entends. Tu la hèles
Et l’appelles à ton tour et tu lui dis
“Bonjour, La Mère !”»

«Et tu vois là,
Tout auprès de la cage avec sa porte ouverte,
Juste derrière La Mère qui te rit,
Le Père qui t’appelle et sourit.
Tu l’entends. Tu le hèles
Et l’appelles à ton tour et tu lui dis
“Bonjour Le Père !”»

Vicky s’envole jusqu’au faîte de l’arbre.
Tout en bas, la cage peinte a ses jolies couleurs.
Chaque barreau la sienne, les nuances de l’arc-en-ciel…

De la cime de l’arbre
Vicky voit bien petite la cage arc-en-ciel dont la porte pourtant s’élargit !
Il voit, mais n’entend plus La Mère qui le hèle !
Il voit, mais n’entend plus Le Père qui le hèle !
À grands gestes La Mère et Le Père le hèlent
Avec de grands signaux d’amour !

Vicky l’oiseau s’envole et disparaît.
Il disparaît un temps.
Un temps long ? Un temps court ?
Nul ne sait.
Un instant ?
Nul ne sait.
Il disparaît un temps.
Simplement.
Il voyage, Vicky !

Vicky voyage.
Il va.
Il vient.
Il vole.
Il vole dans son arbre,
Son arbre de vie.
Rude est parfois l’écorce de son arbre.
Rude est parfois sa vie.

Souvent,
Son arbre s’offre à lui et se couvre de fleurs…
Des fleurs de toutes les couleurs,
Celles de l’arc-en-ciel…
Chaque fleur est coquette et se plaît à séduire.

«Goûte mon suc, Vicky l’oiseau !»
Vicky goûte au suc de la première fleur
Qui transmute à l’instant son joli corps d’oiseau :
Le voici oiseau-lyre !

«Goûte mon suc, Vicky l’oiseau !»
La fleur voisine le fait quetzal vert,
Cette autre le met tout à l’envers et le voici pivert…
Et pigeon voyageur…

Ainsi, juste le temps qu’il faut,
De fleur en fleur, le voici tour à tour
Gerfaut conquérant ivre de rêves héroïques, (1)
Alouette amoureuse dans l’herbette couchée
(celle qu’en son ode Ronsard a chantée) (2)
Cygne blanc,
Cygne noir !
Hibou rangé, (3)
Albatros empêtré, (4)
Funèbre corbeau égaré et défait du souvenir d’Arthur, (5)
Rossignol si triste de Paul? ! (6)

«Goûte mon suc, Vicky l’oiseau !»

Le temps qu’il faut s’est écoulé.
Vicky est tout là-haut, tout au faîte de l’arbre,
Revenu et perché.

Et tout en bas,
Leurs bras, là-bas,
Leurs bras s’agitent.
Télégraphiques.
Leurs yeux le veillent.
Sémaphoriques.
Ils l’invitent :
«Reviens, descends ! Descends encore !»
Le Père le hèle, Vicky l’entend.
La Mère le hèle… Elle l’attend.
De la cage la porte est toujours grande ouverte.

Vicky ose. Il entre.
– Bonsoir, Le Père.
Bonsoir, La Mère.
J’ai tant voyagé.
J’ai tant vu, tant combattu, que je suis courbatu
Je me pose un instant.

Il se pose un instant
Sur le beau perchoir jaune qui se balance au vent
Au milieu de la cage
Entre ses barreaux arc-en-ciel.

La Mère et Le Père s’accordent d’un regard :
Demeureront les barreaux de la cage,
Si beaux, de toutes leurs couleurs !
Aucun ne sera effacé !
Et ce que Jacquot fit, ils ne le feront point !
Mais…
La porte de la cage restera grande ouverte !

Tranquille, dans la cage dont la porte est ouverte,
Sur le beau perchoir jaune qui se balance au vent,
Vicky l’oiseau s’endort.

Un temps passe.
Juste celui qu’il faut.
L’oiseau se réveille et s’ébroue.
– Bonjour, Le Père.
Bonjour, La Mère.
J’avais tant voyagé.
J’avais tant vu, tant combattu, que j’étais tout courbatu !
Me voici reposé.

Vicky est reparti au faîte de son arbre.
Le Père fait un petit signe.
La Mère envoie un baiser.
Le perchoir balance au vent.

La porte de la cage restera grande ouverte.
Et l’oiseau reviendra. Il reviendra chanter.
Vicky l’oiseau viendra les enchanter.

(L’essence et l’esprit - 2017)

Clins d’œil, les références…
(1) «Les conquérants» (José Maria de Heredia, «Les Trophées»)
(2) «Ode à l’alouette» (Pierre de Ronsard, «Les odes» IV, 27)
(3) «Les hiboux» (Charles Baudelaire, «Les Fleurs du mal»)
(4) «L’albatros» (Charles Baudelaire, «Les Fleurs du mal»)
(5) «Les corbeaux» (Arthur Rimbaud, «Poésies» XXIV)
(6) «Le rossignol» (Paul Verlaine, Poèmes saturniens»)
(7) «Pour faire le portrait d’un oiseau» (Jacques Prévert, «Paroles»)